A3 – Arbre
L’humide odorant du dessous de tes branches remplace la chaleur de l’été. Humus, terreau, champignons et tous ces longs filaments blancs qui sont vos discussions feutrées. C’est le temps des récoltes, des compotes, du sucré des confitures et des bocaux bien clos pour tenir tout l’hiver, quand la fumée du feu de bois nous rhabille tout entiers. Tu es planté là, si près du chemin. Tu penches un peu pour t’en éloigner, de ces quelques voitures et autant de piétons qui passent sur un sol trop tassé, mais bon, les racines sont les racines et tu demeures là où tu es né.
Automne, saison de ta naissance. Tu étais graine cette année-là, vagabonde, légère et libre. Presque ronde, tout d’abord protégée par une bogue lisse et verte qui s’ouvre pour te laisser partir, toi, et pour laisser s’échapper cette odeur verte et âpre. Dans ta famille, les petits ne poussent pas aux pieds de leurs parents, mais ils restent à portée de parfums, à portée de pollen. Pour trouver ta place, il t’a suffi de tomber d’un panier, de rouler dans la pente ou d’attirer les narines d’un écureuil gourmand alors que tu n’avais même pas encore séché, à peine pris ton indépendance, délaissé le cocon, tu étais encore souple et fragile, si fraiche et déjà déterminée. Tu n’as pas vraiment choisi, mais finalement, ce serait là, et ce ne serait pas si mal.
Alors, bien au chaud sous les feuilles, protégée par la neige, quand le nez ne sent plus à force de couler, tu t’es préparée. Passer de graine à arbre, de noix à noyer, du féminin au masculin, ça se fait en une saison. Mâles, femelles, genres, questions d’un autre monde que le tien, où chaque individu porte à la fois pistils et étamines. Un peu de terre, un peu d’eau et de lumière. Du temps. Bientôt le printemps, les premières primevères, les herbes pas encore foin, tu t’es étiré, tu as sorti de terre deux petits bras potelés, des mains fines aux très longs doigts, les a tendus vers la lumière. Premier essai avant d’en sortir bien d’autres, une multitude de petits bras, plus vigoureux les uns que les autres au beau milieu de l’été. Tu étais encore frêle, ta peau était lisse et si fine, un pied t’aurait tué. Et puis tu as grandi. Racines au-dessous, branches et feuilles au-dessus, ta symétrie s’est étoffée.
Maintenant que tu es adulte, on ne te voit plus grandir. La branche est toujours là, pour grimper dans tes bras, et c’est déjà ça. Maintenant tu es là comme si tu avais toujours été là. Monument, emblème, référence, repère. « Au noyer, à gauche ». C’est toi aussi qui dit les saisons qui reviennent, tu sais ça mieux que nous, tu ne te laisses pas surprendre par un redoux sournois, ou un coup de froid précoce. Tes odeurs, tes couleurs nous donnent le temps des ans.
Toute l’année tu es là, et on ne s’occupe pas de toi. Mais à l’automne on se rapproche. À tes pieds on fauchera l’herbe, on fera place nette. Tes feuilles tomberont, pour nous faire admirer toutes les couleurs du monde entre soleil et terre. Parfois luisantes de pluie ou craquantes de sècheresse, elles couvriront le sol pour protéger tes fruits. Odeur douceâtre et fraiche, la même qui vous laisse les mains tachées en séparant la bogue de la noix encore molle, encore âpre et fragile. Les bogues, on les fera sécher, puis à nouveau tremper pour aboutir au brou à étendre sur les planches pour leur éviter le fade et le pourri, le retour à la terre, de finir en poussière sous les crocs des insectes. Les noix, on les fera sécher avant de les mettre dans ces grands sacs orange, des filets à patates parfois ourlés de bleu et de les suspendre au plafond du grenier à l’abri des rongeurs, espère-t-on. Au passage, on posera la main sur ta peau, ridée et craquelée où tu accueilles des mousses, parfois un peu de lierre dont on te débarrasse en te parlant tout bas comme à un vieil ami.
Et puis, une fois bien vieux, peut-être tordu, perclus, crochu et poussiéreux, pour peu que tes branches représentent une menace pour les fils si fragiles tendus sans concession pour la fée de l’électricité, tu finiras en planches tronçonné, équarri, dans une scierie remplie du parfum de sciure qui se colle aux scieurs. D’abord tu seras liteau, volige ou carrelet, ensuite tu seras meuble, cadre ou porte de placard. Travaillé, mouluré et poncé, poli à l’huile de lin, qui mêlera son odeur à la tienne. Tu sentiras le bois, tu ne sentiras plus l’arbre.
Tu nous donnes. à toucher l’étendue de temps de sa vie d’arbre, de la graine à l’objet menuisé. Rythme de croisière trouvé au paragraphe 2 quand tu le fais grandir.
Souvenir tout de suite déjà des bras qui sortent de l’humus.
Plaisir de partager avec toi, Juliette
Merci pour ta lecture Françoise ! Et je revois le premier paragraphe : la prochaine fois, n’hésite pas à me dire carrément quand c’est bancal, celle histoire de féminin/masculin, graine/arbre, c’est pas encore bien fluide. Vais revoir, merci !
Et vais aussi aller jeter un œil chez toi, la carte m’intrigue !
Bonjour Juliette, comme il a été bon de voir grandir et vieillir cet arbre auprès de toi. Belle poésie de la vie et je t’en remercie.
Bonjour Hélène, merci pour l’arbre et merci pour ta lecture !