autobiographies #02 | les personnes

©Jean Radel

Côté SAPINS

La dame du catéchisme est une grosse fermière rougeaude qui sent la vache. Elle est riche comme son nom et possède une maison qu’elle n’habite pas du nom trop chic de Villa Marie-Louise. Un jardin à l’abandon avec une clôture faite seulement d’un gros chêne, d’églantiers emmêlés et de deux colonnes rectangulaires qui bornent l’entrée sont autant d’appels à d’autres religions que celle, bien sage et ordonnée qu’elle professe sur la toile cirée collante. Elle a des bottes en caoutchouc, des pantalons sous ses jupes et des cheveux blancs. L’hiver, elle fait tourner un petit remonte-pente à deux pas de là, dans un de ses champs. Son fils est docteur à la ville. On ne les voit jamais ensemble.

Monsieur Rimboo est un habitué. Un monsieur en costume sombre, digne, convenable, du dessus du panier. Il a toujours un mot gentil pour les enfants et il déjeune en lisant le journal. « Bon, son fils est un con » est la sempiternelle conclusion de l’éloge qui lui est faite. Il prend, en lieu et place de dessert, une petite assiette de gâteaux secs, préférablement avec son café.

Monsieur l’Affranchi, petit même pour les petits, secs, avec un chapeau de paille à ruban vissé sur le crâne tient avec sa femme l’épicerie fabuleusement vide en face de l’église. Il a peut-être un grand nez, mais ce qui est sûr c’est qu’une fois par mois il torréfie lui-même dans une petite pièce entrouverte sur la rue principale qui baigne dans l’odeur brûlante du café. 

Madame Tatare est mariée à un monstre marin qu’il est convenu d’appeler Néness, comme son cousin écossais. Il a de petits yeux humides perdus dans une grosse face plate qui a coulée vers le sol. Elle est énergique et fait les chambres pendant la saison et parfois la plonge. Ensemble, ils forment un mystère biologique.

Côté CALIFORNIE

Les cheveux longs et la croix en bois, les grandes jupes à fleurs et la couleur violette. Ça ne fait pas hippie les cours de caté. L’entrée de sa maison est minée par les jouets et les chaussures des 7 nains de sa portée. Quand c’est terminé, elle dit : « Merci pour ce moment d’amitié partagé ».

Le père de Florence n’est pas là. De là qu’on ne parle pas de lui en termes de papa. Mais aussi de son grand bureau de bois massif, dans une grande pièce à soi, à lui, le journal Le Monde. Comme on ne le voit jamais, le père de Florence a la figure du journal et l’odeur de son bureau qui donne sur les pins par deux grandes portes-fenêtres. Un docteur en velours et en bois d’acajou.

Du voisin d’en dessous, un seul souvenir : il travaille au fond du jardin sous le soleil de plomb en maillot de corps blanc. Il est costaud avec une large nuque et des cheveux crépus coupés très courts sur un grand front. Il a des yeux petits et doux. Il est cuit comme un pain, comme la terre de Roland-Garros de la télé. C’est un amical voisin avec une femme et deux enfants encore pas vraiment si grands et d’autres voisins qu’on ne voit pas de là. Il a le projet de venir à bout des hautes herbes sèches. Elles le tiennent jusqu’à la taille, derrière, bien loin, le trait bleu de la mer.

Du voisin d’en face : un blouson noir en siège de Porsche et deux gosses tristes et énervés.

Une tête de boite à chaussures avec lunettes rectangulaires et un casque rudimentaire de cheveux noirs. Par là-dessus des longs gilets en pieds de coq. L’institutrice des CP sort d’un dessin maladroit. Elle est vieille et moche — cet âge est sans pitié — comme l’épicière de Charles Trenet et comme l’épicière, elle a l’accent du Midi, pour dire : « Vous devriez envisager de la mettre dans une institution spécialisée. »

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

4 commentaires à propos de “autobiographies #02 | les personnes”

  1. Les portraits sont toujours saisissants de vies, d’instants, de tout ce que l’on devine d’eux et qui n’est pas encore ou complètement écrit. Bonne journée.

    • Merci Clarence. Le plus intéressant pour moi est de voir les styles que chaque portrait impose. L’étrange violence que je sens en écrivant. L’appraition du monstre du Loch Néness…

    • Merci Ugo. J’essaie de rester au plus près, de ne pas fariboles. J’ai l’impression très troublante de plonger en apnée (sport que je n’ai jamais pratiqué, mais enfin, j’ai vu le Grand Bleu, enfin au moins la moitié).