Une maîtresse a placé B, nouvelle arrivée dans la ville et donc dans l’école, à côté de A. B a souri à A, A a étiré ses lèvres en attendant de savoir. Un cahier vert a été posé à côté de son cahier rouge. A a regardé B, son sarrau en vichy qu’elle a décidé un peu étrange, et elle en a eu un petit élan d’amitié protectrice, elle a vu les boucles noires en désordre et elle a murmuré «bonjour».
Elles ont grandi, elles n’ont pas été toujours côte à côte dans leurs salles de classe, elles ont eu d’autres amies mais toutes, et tous les adultes, savaient que A n’allait pas sans B, même si les groupes se faisaient généralement autour de B, et parfois A trouvait que B était trop facilement populaire. B ne pensait rien d’A, elle était là évidente et nécessaire. A regardait B, l’admirait, s’agaçait, n’était pas toujours d’accord mais ne pouvait s’envisager sans elle.
Les parents de A tenaient une boutique de disques dans la rue principale, logeaient dans un appartement au dessus, avec un escalier qui descendait dans le jardin à l’arrière. Le père de B – la mère était partie, à l’autre bout du monde disait-il, cela restait un peu mystérieux, même pour B sans doute, et faisait souvent rêver A – avait un assez grand trois pièces dans un immeuble neuf à la lisière de la petite ville.
Les parents de A aimaient bien B, non sans un peu de méfiance, parce qu’avec des traces d’ancienne civilité – la mère de A se souvenait, avec un peu d’ahurissement amusé et flatté, de sa façon, les premières fois, de lui faire une discrète révérence – elle avait un parfum de liberté qui les amusait mais dont ils craignaient l’influence sur leur fille (pourtant si A cueillait au vol les idées de B, elle ne les acceptait qu’avec un intérêt ironique, n’en gardait qu’une ouverture secrète sur «autre chose» que le cadre qu’ils dressaient autour d’elle), alors parce qu’une amie de cœur est indispensable, peut-être aussi avec le secret espoir de gommer en elle ce qu’il soupçonnait d’audace contagieuse, un peu de pitié pour cette enfant sans mère et un peu de fierté parce que son père faisait figure de notable, ils l’invitaient régulièrement à déjeuner, ou goûter autour des devoirs à rendre. Et A et B s’en amusaient.
Mais, pour éviter que B ne leur soit trop redevable, son père les invitait parfois toutes les deux, trop rarement pour leur goût – mais bien sûr il n’avait pas le temps, et puis il était trop occupé pour y penser – à de petites sorties, promenades à la campagne, théâtre lors du passage d’une troupe quand elles en ont eu l’âge et une fois à un concert dans le parc d’une amie – les parents de A s’inquiétaient un peu en silence, se réjouissaient parce que c’était inutile, A ouvrait grand ses yeux, ses oreilles et son esprit et B était reconnaissante à A de l’attention qu’il lui accordait comme par ricochet. Il insistait aussi, quand elles furent au lycée pour qu’elles profitent parfois, pour leurs devoirs ou leçons, de la proximité plus grande de son appartement, et de sa bibliothèque, mais curieusement la liberté apparente dont elles jouissaient là les inquiétaient.
B aimait la grande chambre de A, souriait sans envie au décor un peu mièvre que la mère avait choisi, s’émerveillait devant les jouets – il y avait notamment un service de table pour poupées en faïence trop beau pour faire autre chose que le disposer, le regarder, le ranger, avec une admiration qui faisait plaisir à son amie – préférait les deux fenêtres ouvertes sur le jardin sage, et lorsque l’âge est venu leur première surprise-partie a bien entendu était organisée là, en annexant la petite véranda accolée au mur du fond.
Dans une de leurs premières surprise-parties – elles étaient bien sûr toujours invitées ensemble, partageant les petites bandes que les relations de leurs parents leur avaient imposées – dans le petit parc de la grande maison qui faisait face à l’immeuble habité par B à la sortie de la ville, elles sont tombées amoureuses quelques heures de l’un des deux garçons de la maison. B se déchirait le cœur, consciencieusement, voulait céder la place à A, tellement plus belle et plus aimable et plus… quand un grand gars, un que l’on connaissait pas vraiment, fils d’un propriétaire de belles terres dans la campagne proche et depuis longtemps pensionnaire on ne sait où, s’est imposé, a fait rire A, s’est incrusté..
Elles se sont mariées à quelques jours d’intervalle et c’est en souriant qu’elles se sont embrassées en se quittant, B s’en allant suivre son jeune mari dans une capitale étrangère.
A se partageait entre la propriété de son mari, la boutique de ses parents qu’elle avait transformée, deux enfants qu’elle a fait, et la rédaction de lettres pour B. B recevait les lettres, les lisait, souriait, en accord ou avec ironie, ne répondait pas. A continuait, davantage pour le plaisir de l’écriture, de la recherche du mot exact, un peu aussi pour ce moment de calme, pour revivre, embellir ses journées que pour leur lectrice qui s’estompait.
Le mari de A, qui conduisait trop vite une voiture trop belle en a perdu la maîtrise. A partagée entre la campagne et son beau-père, les enfants, la boutique et surtout, même quand ce n’était qu’en pensée, ce lit d’hôpital, cet esprit enfoncé dans son coma, n’a plus écrit mais elle a reçu un longue lettre tendre de B, suivie d’autres délicates, attentives, qu’elle s’est mise à attendre, s’étonnant au bout d’un moment de l’absence, dans la souplesse de ce que B écrivait, de toute notation précise sur ce qu’était sa vie jusqu’au jour où elle a appris, compris, que le mari de B….
Bref, le jour de l’enterrement du mari de A, B, qui venait de perdre le sien, est revenue dans la ville. Elles ont mis quelque temps a ajuster leurs caractères, ce qu’elles se disaient, ce qu’elles taisaient, et sont de nouveau, aux yeux de toute la ville, inséparables… et rien de ce qu’elles étaient, de ce qui les unissait, qui tissait leur entente, accords, différences acceptées, agacements gommés n’a été connu de leur entourage, d’elles aussi peut-être.
Formes de Fanny Lavergne – exposition au cloître Saint Louis d’Avignon, octobre 2017
photo © Brigitte Célérier Avignon
« Elles ont grandi, elles n’ont pas été toujours côte à côte dans leurs salles de classe, elles ont eu d’autres amies mais toutes, et tous les adultes, savaient que A n’allait pas sans B, même si les groupes se faisaient généralement autour de B, et parfois A trouvait que B était trop facilement populaire. B ne pensait rien d’A, elle était là évidente et nécessaire. A regardait B, l’admirait, s’agaçait, n’était pas toujours d’accord mais ne pouvait s’envisager sans elle. » Beau texte sur l’amitié ( sans pourquoi) et le paragraphe ci joint c’est si justement écrit.
merci !
Nathalie a tout dit. Une ecrit l’autre ne repond pas. La vie sépare la vie rapproche. On cherche à trouver des raisons d’être en amitié avec telle ou telle, on s’interroge, on énumère les explications, les emboitements et tout reste pourtant inexplicable. C’est très bien montré ici cette part de mystère et tentatives pour le lever. Merci.
Et aussi j’aime A et B. Intéressant.
un merci un peu beaucoup étonné à vous deux