
10 . Kawanehon
Petit sac à dos bleu de survie avec cordage enroulé, posé comme jeté ou abandonné sur un chemin de pierrailles coupantes, la plupart d’un gris bleu – gris de Payne. Certaines sont blanches. Et une pente caillouteuse, petites touffes de fougères agrippées au bord. Tout autour, des montagnes sous un manteau de forêts. Pour en arriver là, il a sûrement fallu grimper, escalader.
Passerelle vue du dessous. Plutôt un pont souple tenu par filin et poutrelles d’acier supportant au centre de longues planches de bois pour traverser. Des garde-corps métalliques et le tout en suspension. Un fleuve en dessous, longé par ce qui semble être une voie ferrée, une route aussi. Tableau en contre-plongée où dominent lignes horizontales du passage et verticales de la sécurité.
Une sorte d’idéogramme de bois planté au bord d’une route, sur fond d’arbres. Un kanji proche visuellement de : livre, racine, origine. Deux lignes de signes gravés sur les deux barres horizontales – deux lignes de signes indéchiffrables écrites sur la représentation-même. Une moto au carénage vert vif, garée tout près, devant. Comme un kanji moderne, mobile celui-là.
Il a voulu revenir, pour voir ce qui échappait, y compris lui, à la prolifération des villes. Mission impossible : il y a toujours la case gare, la case voiture et les ramifications qui vont avec. Restait la marche et l’engin que lui avait prêté l’étudiant calligraphe. Il a pris dans son sac à dos le strict minimum sans vraiment savoir ce qu’était le strict minimum, a laissé son engin à l’entrée du pays, près d’un repère incompréhensible et a entamé l’ascension, en suivant la mise en abyme.
9. Les dix prélevé.e.s
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
09. Les dix prélevés
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
09. Les dix prélevés
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
09. Les dix prélevés
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
10 . Kawanehon
Petit sac à dos bleu de survie avec cordage enroulé, posé comme jeté ou abandonné sur un chemin de pierrailles coupantes, la plupart d’un gris bleu – gris de Payne. Certaines sont blanches. Et une pente caillouteuse, petites touffes de fougères agrippées au bord. Tout autour, des montagnes sous un manteau de forêts. Pour en arriver là, il a sûrement fallu grimper, escalader.
Passerelle vue du dessous. Plutôt un pont souple tenu par filins et poutrelles d’acier supportant au centre de longues planches de bois pour traverser. Des garde-corps métalliques et le tout en suspension. Un fleuve en dessous, longé par ce qui semble être une voie ferrée, une route aussi. Tableau en contre-plongée où dominent lignes horizontales du passage et verticales de la sécurité.
Une sorte d’idéogramme de bois planté au bord d’une route, sur fond d’arbres. Un kanji proche visuellement de : livre, racine, origine. Deux lignes de signes gravés sur les deux barres horizontales – deux lignes de signes indéchiffrables écrites sur la représentation-même. Une moto au carénage vert vif, garée tout près, devant. Comme un kanji moderne, mobile celui-là.
Il a voulu revenir, pour voir ce qui échappait, y compris lui, à la prolifération des villes. Mission impossible : il y a toujours la case gare, la case voiture et les ramifications qui vont avec. Restait la marche et l’engin que lui avait prêté l’étudiant calligraphe. Il a pris dans son sac à dos le strict minimum sans vraiment savoir ce qu’était le strict minimum, a laissé son engin à l’entrée du pays, près d’un repère incompréhensible et a entamé l’ascension, en suivant la mise en abyme.
09. Les dix prélevés
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
09. Les dix prélevés
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
09. Les dix prélevés
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
09. Les dix prélevés
Comme Bachir ou Touré, il est dans le train du petit jour, le premier. Toi tu te laisses emporter vers l’aéroport, et lui il glane ce qui reste de bercement avant de commencer la journée de travail en s’engouffrant dans le camion des encombrants ou des déchets. Comme Bachir ou Touré il dit qu’il n’a jamais vu autant de choses jetées, mises au rebut qu’en ce moment. C’est bizarre : plus la misère grandit et plus on se débarrasse à tort et à travers de ce qui ressemble à du surplus mais c’est juste ce que la consommation addictive te force à remplacer. Il dit qu’au milieu des choses rejetées, il utilise le peu de temps qui reste pour faire le tri et récupérer ce qui peut encore servir. Il se débrouille avec ses amis pour entreposer dans des box les objets sauvés de la déchetterie et tu apprends que c’est grande fête quand il réussit à faire partir un camion chargé à bloc vers son pays d’origine. Il descend avant toi et te souhaite bon voyage.
Tsukuyomi a emménagé il n’y a pas si longtemps au dernier étage du bâtiment, le trente-troisième. Il n’aime pas le mot gratte-ciel : à la place, il parle de « grand distributeur ». Tsuku, comme l’appellent ses voisins, a atterri là par un heureux concours de circonstances ; il a dit que finalement les anciens locataires avaient horreur du vide et que la vue imprenable d’en-haut signifiait pour eux vertige à l’infini alors non merci, ils sont partis. Pour Tsuku, c’est le contraire : il aime se retrouver perché le soir quand les lumières de la ville ressemblent à ce que voient les navigateurs de la station spatiale dont il peut suivre le lent déplacement, de là où il se trouve. Et comme il se dit curieux de nature, il a profité d’une nuit de pleine lune pour explorer le toit en passant par une trappe au-dessus. Il raconte que ce n’est pas dangereux du tout et qu’il a même fait pousser là-haut une petite plate-bande clandestine de fleurs bleues, celle de la bourrache dont il aime le côté porcelaine sauvage. Le jour, Tsuku travaille dans la champignonnière humide et noire sous la ville : il sait que ses voisins comprennent son grand écart et ne diront rien, pour la plate-bande bleue.
Omori prépare les gâteaux de la Palette. Il raconte que plus ça va, moins il pèse les ingrédients. Les proportions c’est à l’œil, à la louche, à l’humeur aussi. Les visiteurs du petit musée apprécient particulièrement son gâteau nuage, avec couronne de fils de sucre comme façonnée par un verrier. Il parait qu’un touriste un jour a même emporté cette pâtisserie originale pour la conserver telle quelle en espérant la voir durcir et se transformer en sculpture. Omori aime son travail mais quand tout est rangé, après le départ des visiteurs, il change de monde. Comme il a la clé du musée, il choisit la salle où s’installer, plante son chevalet devant une toile qu’il savoure, mélange ses couleurs et ses douleurs à l’œil, à la louche, à l’humeur, et reproduit ce qu’il voit. Il range soigneusement ses copies dans la réserve, derrière les grands sacs de sucre et de farine.Jeune mère, Yochéa ne savait pas que son fils allait faire fortune en réalisant des opérations financières juteuses. Elle disait à qui voulait l’entendre que l’homme riche, quand il était petit, était perpétuellement occupé à compter des petits cailloux, des grains de riz noir, des hamaguri. Il faisait des collections qu’il rassemblait soigneusement dans des boites et faisait des échanges dès que possible. Yochéa pensait qu’il serait certainement expert-comptable mais en fait elle est devenue la mère du grand mécène qui parcourait la planète en achetant des œuvres d’art. Elle était toujours invitée aux expositions qu’il inaugurait non loin de chez elle. Elle disait ne rien comprendre à l’art mais croyait reconnaitre, sur certaines peintures dites abstraites, des grains de riz noir. Bien plus tard, quand la mère et le fils ont disparu, on raconte que les héritiers ont retrouvé dans la maison aux portes coulissantes des centaines de boites pleines de petits grains et de petits mots
Plus étudiante que Makiko, ça n’existe pas. Elle veut tout savoir et raconte que si elle n’a pas plusieurs livres dont un dictionnaire dans son grand sac, elle est comme nue et déserte. Comme l’île du film. Comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à échanger. Comme un papillon sans ailes. Comme un papillon sans elle.
Il a demandé si on savait ce qu’avoir les pieds dans l’eau voulait dire. On se doutait bien que derrière la question se dessinait quelque chose d’autre, ce qu’il dirait après. La question, il la posait depuis la butte où il s’était planté en croisant les bras d’un air entendu. Tu as répondu que tu ne savais pas car toi tu étais juste le peintre venu là pour être seul avec lui-même et avec sa table de travail. Shuta alors a souri et sauté dans le mince cours d’eau filante ; tout en parlant il a pris les pousses regroupées en petits bouquets allongés sur le talus, a montré comment faire : repiquer, c’est déjà faire récit. Nous les paysans aux petites terres, on est comme le riz qu’on replante. Souvent les pieds dans l’eau. Et quand les épis se forment, la fièvre est dans l’écorce. On raconte que le riz noir était réservé aux puissants. C’était avant : à nous maintenant les grains de nuit. Dans une légende insulaire, ajoute Shuta, une bonne âme pose dans l’orbite vide d’un enfant qui n’a qu’un œil un grain de riz blanc. L’enfant grandit et dans la cavité le grain de riz devient noir et brillant, aigu comme l’œil d’un rapace. Il peut tout voir, tout comprendre. C’est ainsi qu’est apparu le premier paysan, pieds dans l’eau.
Assis sur son siège pliant, Nobuo le pèlerin attend l’apparition. Il peut attendre des heures, comme tous ceux qui sont venus comme lui. Quand on attend longtemps, dit-il, on n’a plus envie de parler. Le trop-plein de mots s’évapore et rejoint l’air humide et lourd qui nous entoure. C’est à ce moment qu’on peut prendre le masque blanc et exécuter la danse de la passerelle qui précède l’entrée en scène du volcan. Nobuo dit qu’il n’en est pas là.
On l’a bien vue. Quand Alma Phalène a raconté qu’elle s’était dégagée des apparences, il suffisait d’être en face d’elle comme on est en face de la réalité pour deviner. Elle avait eu du mal à s’extraire de tous les clichés qui l’emprisonnaient, sans parler de la gangue des interprétations abusives. Mais on a su qu’elle ne mentait pas : sa présence, son regard brillant, aigu préfiguraient ce dont elle était issue et ce qu’elle allait peut-être ajouter. Mais ce n’était pas la peine d’aller plus loin.
La passagère du RER n’emprunte celui-là que pour une seule raison : elle dit qu’elle veut retrouver ce qu’elle a perdu. L’objet de sa recherche. Mais l’objet est indescriptible. Pendant le trajet, un voyageur de banlieue lui conseille de se rendre dans l’espace Objets trouvés dune gare centrale. La passagère se rend compte qu’il ne comprend rien, tout simplement parce que c’est incompréhensible et, comme pour faire diversion, lui dit que de toutes façons elle va à Tournant sans le T et que c’est compliqué d’expliquer tout ça, les liens. Elle essaie quand même, pour le remercier d’être attentif à ce point et finalement concentre toute l’histoire en une seule question : encore combien de temps pour arriver à Tournant sans T ?
Ce jour-là, elle s’est enveloppée dans une couverture comme la jeune femme de la photo. Comme elle, entourée de débris après le grand tremblement, elle a regardé ce qu’on ne pouvait pas voir sur la photo. Sans témoin, sans personne pour lire ce qu’elle avait écrit ou écouter ce qu’elle avait à dire, elle est restée debout en laissant faire à l’intérieur tout ce qui se déroulait. Ça a duré longtemps. Voyage immobile, sensation de froid. Récit. Puis elle a rangé soigneusement la photo et replié la couverture.
08. Reconstitutions archipel
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur pur.
– Archipel des histoires archipel mémoire – les îles se touchent presque, échappent aux envahisseurs, envahissent elles-mêmes qui les aborde. Qui sont-ils pour les avoir abordées ? Ile lui-même, île elle-même, îles désagrégées
– Bord à bord Bora Bora d’un volcan l’autre au-dessous de la mer au-dessus et la lave land la lave land partout où partout
– En venant la troisième fois il a habité la maison d’une mère lointaine, celle de son hôte – et la sienne a jailli du paysage urbain qu’il regardait à bonne distance. Comme on regarde la mère
– Il a pensé quoi le vieux fou de dessin penché sur les planches des mille et une vues des mille et une vies – il n’a pas pensé il a tracé ça a donné des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes des calendriers des estampes et un brin d’herbe
– Thé fouetté le thé vert mousse des bois à retrouver comme poser l’initiale. Gamme des gestes dont la boisson millénaire est l’emblème, on cherche l’instant précis, l’eau frémissante : la cérémonie du thé est celle de l’écriture
– Du reste : ce qu’il disait souvent
– Un séisme. Là-maintenant. Loin-près, on sait qu’un jour il y en aura un autre, géant, qui engloutira la mégalopole. Structures et infrastructures prêtes à résister au tremblement. C’est dans la tête que tout se passe disent les habitants du radeau
– Bouillonnement : celui des rues. Celui des attentes. Celui du rāmen basique, pas cher, qui rassasie un peu. Celui des sources chaudes dans les cavités. Celui qui se voit à la surface des feuilles, saisi à l’encre
– Un nom recherché, porté par une petite ville dont les plaques d’égouts sont ornées de papillons gravés dans le métal. Mais dans l’intervalle, il y a eu fusion des communes, un nom étranger recouvre le tout
– Pour faire le grand voyage dans l’autre sens, la visiteuse a étudié jour et nuit la langue de l’autre. Elle est arrivée dans l’atelier avec un bouquet de fleurs blanches. Elle a tout regardé, juste avant le démantèlement. A dit, avec des larmes dans les yeux : c’est bien l’original. Puis est repartie pour l’archipel avec un rouleau, une affiche fond noir de 1979.
07.Dans les coutures du grand
Il était déjà là, au départ, le petit. Premier corps dans l’emboitement des autres – ce qu’on appelle grandir. Je ne l’ai pas vu tout de suite, le déplacement minuscule avec ses trois compartiments inséparables, ses porteurs. Il s’est présenté en enfilade, instantanément relié au grand voyage de l’écriture. Pourtant je ne l’avais ni vu ni appelé. Il est né de l’invitation au voyage. Il ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que je reparte, remontant à la surface ou à l’assaut, selon le prisme, moi qui pensais avoir perdu toutes mes forces dans le grand séisme que je viens de vivre. La première locomotive est un solex. Ma mère nous dit de nous dépêcher car il ne faut pas être en retard. L’école, ce n’est pas la porte d’à côté et comme il n’y a pas encore de voiture, c’est dans une carriole attelée au solex que nous allons monter, mon frère et moi, pour quitter le Domaine, refuge absolu. Attelage à l’aller comme au retour. Je revois les jambes de ma mère pédalant fortement pour que démarre le moteur décollé de son axe, puis le tremblement du cyclomoteur, la rêverie qui me fait voir le solex comme un cheval et ma mère comme une cavalière pressée. Ensuite les cahots sur la longue allée, les champs de part et d’autre, une fois franchies les grilles noires. Le fait de se laisser porter, enlever, conduire. Les jambes de ma mère immobilisées, ça roule, ça vole. Silence on tourne. Puis l’angoisse, aux parages de l’école. Destination apprentissages droitiers rigides pour la gauchère contrariée. Un peu plus tard, la poire a été coupée en deux : droit de revenir à pied au risque de l’embuscade des étrangers au Domaine. Le voyage a fini par se faire sans sièges à l’arrière de la Juva 4 et cette fois c’est notre père qui conduisait mais on ne voyait plus les champs. Il nous expulsait de la voiture puis revenait nous chercher sans beaucoup parler. Depuis, le village est devenu ville -dortoir de la grande couronne. Un . tournant sans T à la fin.
Deuxième compartiment : après, dans la forteresse. J’avais compris, en fin de CM2 que plus jamais je ne retrouverais l’autre part, le paradis d’avant le déménagement. Insupportable. Alors tout était prétexte à refaire le chemin dans l’autre sens, en dissimulant tout ce qui pouvait donner l’alerte. Fuguer, on n’y pensait pas, c’était trop compliqué pour quelqu’un de déjà perdu. Alors j’ai trouvé : dans le reste de grange transformé en garage attenant à la maison d’habitation, j’ai repéré un mur amoché, sombre, parfaitement ordinaire. J’ai récupéré je ne sais où des craies pour tableau noir et ai dessiné une sorte de maison en coupe, ouverte, y installant, toujours à la craie, des objets, des paysages du Domaine, – comme autant de tableaux accrochés à l’intérieur dans le périmètre de craie –, des symboles, reproduisant têtes de brochets séchées ou poupées enterrées, sans que personne ne puisse déchiffrer le mystérieux alphabet. Les parents trouvaient la démarche et les dessins un peu étranges mais comme à l’école on ne se plaignait pas, ça passait, et je pouvais franchir les murs sans avoir à rendre de comptes.
Dans le troisième compartiment, à la même période, un peu plus tard, c’est le jardin japonais miniature qui revient. D’où m’en était venue l’intuition ? Je ne sais plus. Pourtant, c’était l’irruption de l’évidence. Je savais déjà qu’on pouvait passer de l’autre côté mais étais loin d’avoir toutes les clés. Était-ce chez les amis des parents ? Pendant que les adultes jouaient aux cartes ou à des jeux extérieurs, les enfants fouinaient, regardaient, cherchaient leur ailleurs. C’est peut-être dans ces moments-là. J’ai dû apercevoir l’objet délicat : Un appel cristallisé. De retour aux granges, j’ai trouvé un équivalent – un petit bocal en verre –, y ai tassé de la terre, placé dedans quelques petits plants sauvages pour créer une forêt. A force de farfouiller dans les recoins de la forteresse, j’ai déniché un petit personnage de céramique – sans doute une fève –, une pierre en forme de maison, et je les ai installés sous le couvert des arbres enracinés dans le bocal. Question d’échelle. Puis ai ajouté au fur et à mesure graviers, perles, coquillages, fils colorés pour le sentier, faisant tomber la pluie de temps à autre dans le jardin miniature avec une cuillère à soupe. J’ai caché le bocal dans un coin du jardin de la ferme en veillant à n’éveiller aucun soupçon, et c’est là qu’a eu lieu mon premier voyage au pays du soleil levant.
06. La veilleuse et l’arpenteuse.
– Il me semble, veilleuse, que le voyage n’aurait pas été le même si la réplique du bâtiment polygone n’avait pas été construite au milieu de l’archipel, comme un écho de l’original. C’est vers ce double qu’il est parti affronter la solitude d’un atelier semblable au sien, à l’orient du monde.
– Comment peux-tu savoir, l’arpenteuse, puisque l’un des voyageurs a disparu et que l’autre passe le plus clair de son temps à récolter la moindre trace des trois séjours en regardant des photos, en ouvrant les enveloppes, ou à travers les signes déposés en nappes constellées sur les feuilles de papier sans colle ?
– Cette autre tente de te répondre, mais n’est pas encore devenue la phalène du bouleau, celle dont les ailes clarifiées portent les méandres de la métamorphose, avec ses marques d’encre, sa calligraphie de l’envol.
– Te faudra-t-il encore beaucoup de temps pour revenir sur tes pas tout en avançant comme tu peux pour gagner en éloignement ?
– On ne peut pas savoir. Au moment où tu crois avoir atteint une sorte de port, vivier de souvenirs semblable au berceau de l’eau protégée par le rempart des jetées, une tempête se déclenche et disperse la flottille, te renvoyant à la fragilité qui est l’autre nom de l’exploration.
– On explore donc en se trouvant renvoyé hors de ce que l’on croyait avoir soigneusement rassemblé ? Est-ce à dire que tout devient épave ? Ou radeau ?
– Ce n’est pas ça non plus. Dans le resurgissement de cet espace-là, il y a quelque chose de minutieux, une obstination aussi noire et douce qu’une pierre à encre avec colline et mer – un creux dans la roche éruptive pour obtenir l’encre, qui concentre le noir de fumée, l’ultime pigment. Il sèchera plus tard sur les grandes feuilles, comme sur les ailes de la phalène. Mais on est loin d’en être là.
05. Neuf pas
Banc sous le cerisier. Ce n’est pas la saison des fleurs. Assis sous l’arbre tutélaire qui résiste de toutes ses feuilles suintantes à la chaleur, il regarde en face celle qui le photographie. Ses deux bras sont ouverts sur le dossier du banc posé là pour les visiteurs. Il sait qu’il faut puiser dans les réserves pour reprendre le pinceau, il fait une halte. Ce n’est pas non plus le temps des cerises.
Shoji. Le mécène lui a confié la maison du peintre et la maison de sa mère a la même cloison coulissante. Une question de confiance. Quand on fait glisser le mur pour fermer l’accès, on récolte la joie de l’espace laiteux, translucide. Quand on ouvre, tout donne sur le jardin qui parfois se met à ressembler comme deux gouttes d’eau au jardin secret.
Ombrelle jaune Yukari se protège du soleil dévorant en souriant sous son ombrelle jaune, debout devant un bronze de Zadkine, à l’entrée du double de la Ruche.
Four à céramique dans l’enceinte, une longue chrysalide de terre réfractaire. On y fait cuire à haute température les poteries qui contiendront mets, pigments, âmes, offrandes. Si tout va bien, elles brilleront délicatement, échappant aux fêlures ou faisant avec elles.
Tombes dans les herbes folles on ne les a pas vues tout de suite, c’était en marchant hors de l’enceinte et seuls émergeaient de petits toits pierreux aux bords retroussés, à hauteur d’herbes folles et de lis orangés – sauvages là-bas, vendus ici. On a juste fait silence avant de poursuivre.
Petit cabanon pour abriter des barquettes de petits légumes. Dans le prolongement de l’étal, une boîte semblable aux barquettes mais celle-là reçoit la monnaie de la pièce. Pour acheter les délicates aubergines qui mériteraient d’être exposées dans un musée tant elles sont miraculeusement présentes, je cherche le paysan vendeur. Le peintre sourit : Ne cherche pas, il n’y a personne. Le cultivateur a rejoint son champ, c’est sa place. Toi, tu choisis ce qu’il te faut, tu laisses tes sous. Tu reprends ta monnaie s’il faut et voilà. Pas d’autre tractation.
Enfants endormis sur des tapis de sol. Début d’après-midi, soleil écrasant, ils se reposent et nous marchons, quelle idée. Ils se reposent dans une école différente des nôtres. La leur est juste signalée par la branche horizontale d’un pin qui signe la différence devant la porte ouverte.
Plancher dans l’ultime pièce du temple. Il attend ceux qui éveilleront les gazouillis en marchant sur les lattes de bois. Sous les pas s’échappe le chant des oiseaux ou celui des cigales.
Sceau.L’homme aux cheveux de neige a creusé toute la nuit un premier bloc d’albâtre puis le second, jusqu’à ce qu’il obtienne le sceau de l’homme au cœur
04. Un tronçon
On pensait y aller directement mais non. Comment savoir exactement ce qui nous amenait là ? L’évidence autant que l’impensable ? La possibilité unique de ce qu’il faut voir ou avoir vu avant de repasser de l’autre côté ? Questions en forme de nuées lourdes et chaudes. C’est seulement après que nous avons su, relu. Le fait est que le train s’est arrêté, ce n’était pas celui du premier jour. Moins rapide. Un écart visible entre le trajet et ce qu’on s’apprêtait à découvrir. Rétablissement d’une autre durée, ponctuée d’une halte. Un point-virgule avec au loin la chaîne montagneuse. Ce n’est plus très loin maintenant. Correspondance, temps d’attente.
La brûlure extérieure est telle qu’on espère poursuivre le déplacement sans s’évanouir. Sur le quai, règne un distributeur parfait – on a quelques pièces, on les laisse tomber dans la colonne latérale du parallélépipède bien planté devant nous. Déclenchement mécanique de la chute : deux boîtes cylindriques de métal froid tombent dans le réceptacle prévu à cet effet. Fébriles, nous récupérons les trophées. L’opercule saute avec un petit bruit sec ; le liquide contenu coule dans la gorge et descend comme une cascade intérieure, goulée d’air liquide. Dans l’intime, le thé glacé nous sauve, en nous éloignant de l’incendie sans flammes. De nouveau, nous reprenons pied et dans le temps qui reste, nous cherchons où aller. Ne pas trop s’éloigner de la petite gare pour ne pas rater le train suivant, celui qui prendra le relais vers l’ultime destination du jour. Dans un tremblement de chaleur, on entend un battement. Quelqu’un frappe régulièrement une matière dure et creuse. Du bois sans doute. Guidés par le son, on s’approche d’un toit majestueux. Des hommes sont penchés sur de grands tronçons annelés, tout juste sciés. De là s’échappe le parfum poivré de la sève. C’est du bambou. Deux hommes s’emparent du plus gros morceau, un mât d’une étonnante circonférence. Ils glissent au-dessous un cordage pour le soulever puis dirigent ce corps vers un gong suspendu. Quand le battant horizontal atteint le cercle plein, l’onde d’une amplitude profonde nous envahit et nous immobilise tous. On réalise, au moment où la vibration s’éteint, qu’il reste très peu de temps pour s’arracher à l’instant et retrouver la gare.
En dessinant plus tard le morceau de bambou, il a utilisé l’encre diluée sur la pierre noire, celle que lui avaient offerte les visiteurs d’un soir. Au centre du tracé, un nœud comme l’articulation du genou tendu dans la marche vers un sommet. L’objet du geste traversant la feuille à l’horizontale, on n’en voit pas les extrémités : écriture d’un chemin sur une carte de vœux.
Courir : l’autre train est à l’approche. Pas de transition. Pendant le dernier tronçon du parcours, la prégnance de l’image au parfum poivré fera-t-elle le lien ? Il est possible qu’une fois arrivés à destination nous ayons beaucoup à attendre pour voir ce que nous espérons voir. On pensera au gong de la halte en rejoignant les pèlerins assis sur des sièges pliants. Ils guettent pendant des heures l’apparition des pentes géantes enracinées aux deux extrémités de l’horizon. Le temps que les nuages épais s’écartent très lentement. Peut-être qu’on ne verra rien. Mais on captera l’immense présence dissimulée. Pour l’heure, le train est à quai. Impression de repartir à zéro ; la soif est revenue, le distributeur s’éloigne. Les hommes penchés sur leur travail sans nom aussi.
03. Portique
…un guide, il fallait peut-être un guide. Un passeur, rien de certain … C’est ce qu’on pensait en longeant le lit de la rivière asséchée. Restaient les cailloux semés dans le creux, à la place de l’eau filante. Blanchis comme les os saillants de l’estampe. Comme les graines de l’autre monde. En s’éloignant des gares, stations, ports, aéroports
…l’homme qui précédait les questions n’avait rien du guide. Redécouvrant les lieux avec nous et vivant le reste du temps à la lisière près du carré des jeunes pousses. Irriguées, elles. Il voulait juste nous aider à ouvrir une brèche dans la forêt sans fraicheur pour accrocher devant le portique un vœu sur papier plié en escalier de souris
…Il travaillait aussi à la Palette, le petit restaurant au nom exotique dans l’enceinte. Face à son objectif on avait fait halte près d’un panneau bordé de noir, un faire-part planté dans la nature. Trois signes y étaient inscrits : le double T d’un portique, un carré penché sans le quatrième côté, et peut-être une grue abstraite. Rien de certain
…et le poids de l’air lourd et humide, une tenture qu’on ne pouvait écarter… de même qu’on ne se faisait pas à l’idée que sur cette terre deux bombes atomiques avaient laissé sur les murs ruinés des empreintes – silhouettes, échelle, plus rien… On marchait derrière l’homme sur les pas de ceux qui avaient fait le vœu de ne jamais s’arrêter, avançant au rythme des tambours graves, pour scander la mémoire des lieux désagrégés
…Il était descendu dans le creux, avait ramassé un caillou, lisse et fermé. Un qui avait roulé sa bosse et que l’eau à présent tarie avait déposé en attendant le passage de témoin. Il nous l’avait donné pour que nous le déposions près des autres, une fois dépassées les stèles à demi-enfouies dans la végétation
… Nous avons peiné jusqu’au temple qui n’était pas recensé dans les circuits touristiques. Quand on y pense, c’est une image qui le remplace. Une photo posée sur la table de travail. Le temple est une jeune femme sidérée, enveloppée dans une couverture de survie. Son regard est atteint par ce que nous ne voyons pas. Désolation à perte de vue. Elle est debout, comme le premier portique
…Fallait-il passer par là ? Aucune explication. Dans le doute, on a posé le caillou à côté des autres, et on a accroché là où il restait un peu de place le vœu de papier plié. Puis on est entrés
02. Arrivage en double
Tu y es. Sortie sonnée du ventre de la baleine céleste aux ailes rouillées. Après les heures de vol qui t’ont extraite du temps et fait suivre la courbe d’un soleil remontant, à peine touché le bord de la planète. Ce n’est plus le soir, la nuit a été vécue sans sommeil, le matin est une invention. On dit décalage horaire. Seule avec des passagers qui semblent à peu près savoir où ils vont et comment faire pour aller là où ils doivent aller. Ce n’est pas exactement naitre, on débarque avec ce qu’on a déjà vécu mais on est plongés dans une autre attente, le temps de reprendre marques et bagages avant de retrouver celui qui est déjà passé par là. Lui il sait, même si on ne voit pas comment il a fait pour s’en sortir. Comme dans tous les lieux de transition, il y a un tapis roulant, pour faciliter le passage d’un monde à l’autre. Un brouhaha aussi, une fièvre qui ne dit pas son nom. Vérifications, file d’attente jusqu’aux pointillés, les papiers, une langue incompréhensible, suave et heurtée à la fois, la course aux valises dégorgées sur d’autres tapis roulants. Suite du circuit, on ne saute pas de case. Enfin, une fois oublié le sens du mot récupérer, tu deviens celle qui a franchi presque tous les seuils. Tu peux le voir. Et le voilà, vêtu de blanc, comme dans le rêve. Tout autour, des banderoles signalent en hauteur d’incompréhensibles directions et toi tu les contemples juste parce qu’elles portent une écriture verticale suspendue. Il est bien là, dans l’espace intermédiaire, comment pourrait-il en être autrement ? Retrouvailles en douceur avant l’entrée dans un tunnel transparent jusqu’au quai du départ vers la capitale géante, dont on longe sans s’arrêter, en filant sur des coussins d’air, les bordures, les bâtiments vertigineux auxquels succèdent des maisons aux tuiles vernissées, bleues comme les écailles des carpes, des charpentes en attente et des pins parasols. C’est dans une petite préfecture de la vallée aux fruits qu’on descend avant de rejoindre la réplique de l’atelier, à l’étage du bâtiment en forme de polygone.
Les paysages défilent, les quartiers étouffants se sont espacés, une campagne en creux et les premiers contreforts de la chaîne centrale se sont insérés dans un glissement du temps. Depuis le débarquement, et dès les premiers pas sur le territoire inconnu, ont été franchis plusieurs sas, les visibles et les autres, en même temps. Le taxi qui a pris le relais traverse la petite ville. Au volant, un homme aux gants blancs. Attentif et silencieux. Les rues sont désertes, à cause de la chaleur qui tremble à l’extérieur. On est transportés dans une voiture soignée au-dessus du magma, et chacun pense à la grande secousse qui un jour détruira les villes malgré les structures adaptées aux risques majeurs. Les roues tournent, tu as hâte de regarder ce que l’autre passager va bientôt dérouler pour toi sur la table de travail : îles abordées, silhouettes dans les failles, vie minérale échappant à la pression urbaine. Reste à passer par les derniers carrefours, en essayant de déchiffrer d’énigmatiques panneaux d’information, au moment de remonter la pente.
01. La nuit du doute
Y aller, ce n’est pas comme y retourner. Pourtant, les deux se superposent au moment-même où mon bagage est bouclé. Il me semble être dans les temps mais on ne sait jamais. Tour d’horizon rapide : tout est prêt mais tout n’est pas grand-chose, contrairement à la première fois, quand régnait encore le trop-plein et que se séparer du superflu relevait de la mission impossible. Aujourd’hui, c’est différent : pas grand-chose à emporter. A laisser, c’est une autre histoire. Mais partons de là. J’écarte le rideau, pour voir : la nuit est comme l’intérieur d’une malle, fermée sur elle-même et transportée aveugle parmi les cahots des vieilles routes. Le sac-à- dos est sur la table et la valise rigide à côté : ce qu’elle contient doit être protégé des chocs. Ce n’est pas encore l’heure, pourtant je reste éveillée : ne pas risquer de rater le tout premier bus qui me déposera à la gare, prendre avec un peu de marge le premier train, celui qui fera le lien avec l’aéroport. Impossible de dormir, alors je regarde la nuit en face. Le cœur galope trop fort et on distingue à force un arc très mince, un ongle de lumière. Je pense : nuit du doute. Ô la belle formule qui permet de désigner le début ou la fin. C’est bien elle, rassemblant au même endroit intérieur la nuit et le doute. Alors l’arc lunaire fait la différence. Décision lisible dans le noir, je la prends. Il n’est plus là, je ne peux partir que de sa disparition et c’est le moment. Ibanez chante sous la lune noire de Lorca, Ay caballito negro dónde llevas tu jinete muerto , j’y vais.
Il s’est préparé. Minutieusement, comme souvent. Mais bien mieux qu’avant. Cette fois, ça va durer. Trop loin, trop tard pour faire demi-tour. Dernier défi, afin de débloquer la situation et se placer à dessein dans l’impossibilité de faire marche arrière. La nuit ne porte pas conseil, elle se répand dans toutes les listes de ce qu’il ne faut pas oublier quand on s’apprête à faire un tel voyage. Là-bas, il aura un atelier au milieu de nulle part, comme l’astre en pleine nuit et c’est là qu’il travaillera, à corps perdu, qu’il rencontrera d’autres destinataires. Là-bas, sur l’autre face de la planète, Tsukuyomi se penchera sur ses grandes feuilles et regardera attentivement chaque chemin d’encre avant de désigner celui qu’il faut emprunter pour mieux se perdre. Mais cette nuit-là, au départ, toutes les feuilles sont vierges, enroulées, encombrantes. La ville encore endormie braque ses projecteurs froids, ses phares et sa rumeur sourde sur le ciel sans étoiles. Comment faire pour tout transporter au bout du monde ?
Prologue. A double entrée
A bord
à main levée au-dessus du clavier d’où s’échappent les oiseaux migrateurs : la force de repartir et celle des revenants
à l’approche des îles jumelles Madeleine et Jeanne
au Val-André désert mouillé par la mer prénom du grand-père assassiné, vent froid pour guérir
à Vatopédi, appel de la simandre, chœur du non-dit dans le bourdon des voix byzantines,
à Budapest, longue langue de neige sur le pont traversé objectif du photographe à l’extrémité
à Pultusk le fleuve Narew : y flottent les couronnes de fleurs fraîches plus loin la Vistule transportant au fond les cendres jetées
à Red Cloud , avec dans le nom refus de l’oubli
à Bouillon un reste de croix incrusté dans le sol de pierre brute
à Kiyoharu réplique de la Ruche, double de la rotonde près des hauteurs du Komgatake
à Glasgow la plainte des Lowlands
A Varsovie, main sur le reste du mur, pas dans ceux de Janusz
à Venise, Argenteuil Val Nord sur les canaux
à Capharnaüm sur les traces de l’ancienne ville et de ce qui eut lieu
à Reims, dans les souterrains crayeux, près du carillon et rappel des faux de Verzy
à Fiesole, la villa envahie par les étudiants
à Unna-Massen, l’histoire du Danube traversé à la nage par les réfugiés
à L’Isle sur Sorgue les abricotiers , route de Saumane
à Gretz-Armainvilliers, la deuxième entrée
à l’Alpe d’Huez la nuit d’agonie faute d’oxygène en bonbonne
à Murs, à part
à Rome les flambeaux et l’odeur de viande grillée dans les quartiers éloignés
à Valenciennes l’aïeule Eugénie place d’Armes, en face de la grande horloge
à Helsinki l’embarquement sur le miroir aux ilots
à l’infini depuis le Dourduff les mots brillants de la voie lactée
à Millonfosse peupliers péniches sarcelles scories de l’allée avec Maurice le sourd
à Toulouse le tour des reliquaires ouvragés, l’opéra des brèves retrouvailles
A Wallers le mineur Panche-à-l ’Huile pour le sacre de la Marguerite d’or
à Trèves le silence des armes le rire des adolescentes qui retrouvent Séphora
à Moscou les soldats de l’aéroport manteaux vert-de-gris et joues roses
à Duino si seulement
à Molène à pied par tous les temps
à Kyiv, Lviv, Kharkiv, Dnipro, Marioupol, Boutcha un jour de printemps sans bruit : il viendra
à Paris les quais les cris
à Samye un rendez-vous
à eux tous, les lieux mêlés dans le désordre, retour en forme de dédicace
Fragments dédicaces. C’est très beau, très habité. Pour chacun, le début d’une histoire.
quel vaste monde à parcourir ! suis preneuse d’une balade guidée, vos mots sont si grande histoire
Du prologue, ce qui m’invite au voyage :
« à Gretz-Armainvilliers, la deuxième entrée »
et du #01 : « la nuit est comme l’intérieur d’une malle, fermée sur elle-même et transportée aveugle parmi les cahots des vieilles routes. »
et « on distingue à force un arc très mince, un ongle de lumière. »
Merci !
le temple garde-t-il ses visiteurs, sans guide
Venue glaner un peu d’inspiration pour ailleurs, j’ai ouvert au hasard. Votre nom me dit quelque chose, sans doute nous sommes-nous croisées vers ici… Ce que je lis est sublime, tellement abouti, comme donnant sens à ce qu’il aurait fallu faire ici avec ce double voyage qui s’est refusé à moi. La veilleuse et l’arpenteuse, superbe, et tous ces bouts de texte merveilleux que je pourrais citer ici. Il y en aurait tant, alors juste plancher, mais tant au même niveau. Merci, Christine. Je repasserai.