Il faut pas saucer l’assiette avec le pain. Elle te dit pas ça, ta mère, qu’il faut pas saucer l’assiette avec le pain ? Mie mouillée sous croûte dorée dans l’assiette pleine de jus de poulet où baignent encore quelques patates du champ de patates à Mémé. Mémé aime bien saucer, et on fait comme Mémé, sauf Tatie qui n’aime pas saucer, qui ne veut pas qu’on sauce – dix secondes dans la bouche, et dix ans sur les hanches : c’est ça qu’elle dit, Tatie, et dans les fesses en plus ! Justement, elle, ce qu’elle préfère, c’est le croupion. Elle a pourtant pas une tête ni des manières à aimer le croupion – c’est ça qu’ils pensent, les autres – mais elle attrape son croupion, l’empoigne et hop ! avec les mains, dans la bouche, l’os, la chair, la peau bien grillée. À chaque lieu son mets : dans la maison d’Ozoir, le pain surprise à Noël, la grande miche circulaire, cylindrique, comme un puits où l’on creuse pour attraper du bout des doigts de fines tranches triangulaires rassemblées comme sandwichs miniatures dont on ne sait ce qu’il y a dedans et c’est tout le plaisir – saumon fumé, jambon de pays, pâté, fromage et ciboulette. À Férolles, c’est gratin de poisson ou coquilles Saint-Jacques avec salade verte, une belle mâche dans un grand bol de porcelaine blanche, puis une crème brûlée, maison s’il vous plaît, croquant de caramel avant plongée de cuiller dans le cratère de vanille. La dernière fois, résidence Baie des anges, il y avait des bestioles dans une casserole, des espèces d’oiseaux morts dans sa cuisine immaculée, avec des fèves à côté. J’ai mangé les fèves, elle les cailles : au moins deux, avec croupion.
oh que j’ai aimé ça (et me souviens d’un temps où j’aimais saucer et le croupion… mais j’ai boudé le pain trop longtemps et faire cuire un poulet juste pour le croupion 🙂 …)
merci Brigitte, jamais tenté le croupion 🙂
Ce texte nous fait plonger en quelques mots bien choisis dans l’atmosphère de repas de familles, votre écriture vise juste et nous fait tremper dans la sauce des souvenirs, des atmosphères domestiques. C’est délicieux.
Merci Laure, heureuse que vous y ayez goûté !