#40/40 Velléité et procrastination
Si je me demande à quoi ça sert d’écrire dans mon carnet – me répondre que ça sert à écrire
Si je pense qu’il est trop tôt pour me mettre devant le carnet – m’y mettre quand même
Si je pense qu’il est trop tard pour me mettre devant le carnet – m’y mettre quand même
Si je pense que je n’ai rien à écrire – écrire quand même
Si j’ai l’impression que j’ai terminé d’écrire dans mon carnet – continuer encore un peu d’écrire dans mon carnet
Si je me dis que je peux me passer de routine pour écrire – rendre la routine encore plus stricte
Si je me dis qu’aujourd’hui j’ai mieux à faire qu’écrire – ne pas me coucher sans une ligne
Si je me dis qu’aujourd’hui ça ne servira à rien de m’asseoir devant mon carnet – le faire quand même et apprécier la surprise
Si je pense que rien ne sortira de ce tas de mots – revenir tout à l’heure pour voir
Si rien ne vient au bout du clavier – taper un # et suivre le fil
Si je ne sais pas de quoi écrire – ouvrir la fenêtre et écrire de ça
Si je ne sais pas de quoi écrire – ouvrir le dictionnaire au hasard et écrire sur le premier mot de la page de gauche
Si je suis tentée de raconter ma vie – raconter celle des autres
Si je suis tentée d’écrire ma plainte – ouvrir les oreilles pour écrire celle des autres
Si les carnets des autres m’impressionnent – ne pas trop regarder et continuer mon fil
Si je me demande pourquoi j’ai envie d’écrire dans mon carnet – me demander pourquoi j’ai envie de respirer
Si je me demande si je me prends un peu trop au sérieux – ah bah p’tre bien
#39/40 Secrète écriture récoltée aujourd’hui en forêt
#38/40 Avant mes rêves, mes presque-rêves juste avant de plonger, entre je m’endors et je dors, des images, formes, paysages, personnages, visages, animaux…en transformation permanente, diapositives qui se succèdent mais fluidement, progressivement, surprises sur lesquelles je n’ai pas de contrôle conscient, dessin animé sans histoire, coloré, net ou flou, impossible à saisir, à écrire, comme un flux. De mes rêves puisque je les ai guettés cette nuit ne reste rien ce matin, souvent au réveil envie de me rendormir pour le rattraper, le poursuivre. Décoder les messages, les personnages dont je sais qu’ils sont un autre, les lieux distants réunis dans une nouvelle géographie, une porte qui ouvre sur un escalier qui devient un sentier, je tiens cette fille par la main qui devient un collègue ou c’est moi qui deviens un chat.
#37/40 Étonnant ce qui remonte, je me souviens par cœur du début — Le vase où meurt cette verveine d’un coup d’éventail fut fêlé — et de la fin — Il est brisé, n’y touchez pas — qu’il fallait réciter en baissant la voix, peut-être en classe de CM2. Le souvenir du dessin d’un vase traversé d’une zébrure sur la page de gauche de mon cahier de récitations restitue ma compréhension si littérale, le sens m’avait-il complètement échappé ? Une verveine citron m’accompagne dans son pot depuis des années, chaque hiver mise à l’abri, elle perd toutes ses feuilles, ne restent plus que quelques branches qui semblent mortes et chaque printemps, l’inquiétude jusqu’à l’arrivée des nouvelles feuilles, le pot va bien mais je m’égare. Le vase brisé de René-François Sully Prudhomme, je n’aurais pas misé sur lui.
#36/40 J’t’aime pas trop toi, la 36. M’oblige à regarder en face ma paresse. Le journal c’est le matin au petit déjeuner, le quotidien du jour ou d’hier. Je l’étale devant moi pour pouvoir le tacher de confiture. Fichtre, en même temps que la radio. Parfois aussi l’hebdo, ce grand format prend de la place sur la table. Et aussi la satanée tablette qui me suis partout. Téléchargement d’extraits de livres, plein de débuts. Téléchargement avec l’abonnement à la médiathèque et je télécharge trois livres et j’en remets deux et j’en reprends un. Ça ne gêne pas sur fond noir, je peux rester sous la couette soigner l’insomnie. Le livre c’est plus canapé, en ce moment devant le feu, douce somnolence en affut, aussi les matins si je peux ne pas me lever. Le téléphone juste pour appels et textos ou pour les livres audios en voiture, souvent en silencieux et souvent oublié en mode avion. Les mails c’est sur l’ordinateur sans frénésie. Pas de routine d’écrire, pas de travail. A moins que…des cartes postales, j’en écris encore et garde les rares qui arrivent, je me dis qu’un jour j’en ferai quelque chose.
#35/40 Les lambeaux, cette phrase de Proust recopiée dans mon carnet « (des parties de moi… ) qui s’effarent et refusent, en des rébellions où il faut voir un mode secret, partiel, tangible et vrai de la résistance à la mort, de la longue résistance désespérée et quotidienne à la mort fragmentaire et successive telle qu’elle s’insère dans toute la durée de notre vie, détachant de nous à chaque moment des lambeaux de nous-mêmes sur la mortification desquels des cellules nouvelles multiplieront », la lecture du livre de Philippe Lançon, toujours en cours à petites doses, et hier au téléphone impossible de me souvenir de lui, me reviens le titre mais pas l’auteur et ce matin dans le journal un article de Lançon sur Proust, drôle de boucle, tous ces lambeaux, la mémoire en lambeaux.
#34/40 – 13/12/22 A l’automne une graine de haricot ramassée, une inoffensive graine violette brillante comme une perle, pédagogiquement cachée dans du coton mouillé, expérience inépuisable, alors des racines, alors on cale ça dans un pot, alors des feuilles, et cinq centimètres et dix et ça s’enroule, alors un tuteur et ça continue chaque jour un peu plus haut, un peu plus de feuilles, c’est bientôt l’hiver pourtant, et maintenant cette longue tige souple s’étire, grandit, se détache du tuteur, un dessein inflexible la dirige vers le mur, les feuilles se multiplient.
#33/40 – 12/12/22 Jamais le vide, jamais le vide total, ce qui se passe avant je ne sais pas, ce qui se prépare en marchant en forêt je ne sais pas, en trifouillant la terre je ne sais pas, une fois devant l’ordi juste tout pousser vers je ne sais où, taper tout ce qui vient comme un flux nécessaire qui se dépose en tapis lisse avant que les vrais mots ne sortent, laisser les doigts nettoyer la tête, laisser l’écran ou le papier faire reflet, préparer un espace un peu moins encombré, sans aspérités sur lesquelles s’accrocher, la matière à travailler pourra peut-être s’installer sans trop se mélanger, fragile très fragile.
#32/40 – 11/12/22 un repas il dit de tout un peu — une orange il tranche le sommet et y enfonce un sucre — un film muet ils sont là dans l’orchestre — une note jouée elle corrige la justesse — un trajet à vélo elle accroche son cabas sur le porte bagage — des pommes de terre à éplucher il les glane dans les champs — une salade semée il pose dessus une bouteille en plastique coupée — un rosier taillé elle trouve cette couleur vraiment belle
#31/40 – 10/12/22 Mon petit lambeau de colère, le cri du ver de terre, arrêtons de labourer, de prélever, de consommer, d’épuiser, de dégrader le jardin planétaire.
#30/40 – 9/12/22 Dans la nuit du mercredi 7 au jeudi 8 décembre, trois jeunes passablement éméchés (des bouteilles d’alcool ont été retrouvées sur place) ont décroché les drapeaux français et européen de leur mairie et sont allés les brûler dans un parc. C’est là que la police nationale les a interpellés et placés en garde à vue. « Un drapeau coûte entre 40 et 50 € et le préjudice est plus moral que matériel, déclare le maire. Il n’y a pas de signification politique à ce geste, mais je suis étonné que ce soient des nos drapeaux qui fassent les frais d’une grosse cuite. Cela laisse songeur. »
#29/40 – 8/12/22 Le penser mais ne pas prendre dans les bras doucement, ne pas dire les mots consolateurs, ne pas admettre avoir entendu la plainte, parler de la pluie et du beau temps, se moquer du chat trop gros, faire semblant de ne pas voir les yeux brillants, répondre à côté, ne plus avoir faim pour le dessert préparé, bien sûr je vais la regretter, la tendresse qui reste bloquée dedans.
#28/40 – 7/12/22 Histoire de place seconde deuxième pas première ou alors ex æquo et le cadet et elle qui disparaît pas eu le temps de demander l’important ni le futile pourrai plus le faire ne comprendrai pas les photos qui quand pourquoi elle en a pas parlé elle a rien vu sous son nez ou pas pu accepter de penser qu’elle savait ou refuser de voir ou se protéger en refusant de voir et maintenant se protéger en oubliant en disparaissant elle fait semblant peut-être parfois comme malicieuse ou comme c’est bien fait ou comme je suis pas complètement dupe et se plaint de la neige et parle toujours du temps et de la température et ces phrases en boucle.
#27/40 – 6/12/22 Dans le jardin, le gris, le mouillé, l’herbe, la terre, elle avec veste chaude, bottes, gants, transporte sous un abri des pots où fleurissent les derniers fuchsias et géraniums aux feuilles rouillées, j’entends des commentaires, un pour chacun, la promesse qu’ils seront bien, là, cet hiver. Elle soulève une botte de paille, l’effort paraît intense, (j’aimerais l’aider), le flot de parole se poursuit, peut-être à destination des chats qui suivent, précèdent, gênant sa marche. Elle dispose la paille autour des fèves qui sont déjà hautes laissant seulement un peu de tige dépasser et reste un long moment à les regarder.
#26/40 – 5/12/22 Le souvenir de mon rêve s’est affiché sur l’extérieur encore dans la brume — sur un trottoir la touffe de géranium dessinée sur fond de détritus — L’esprit se concentre sur la conduite et à la radio cette chanson de Marie Lou Williams et la route est passé au second plan, est-ce que j’ai raté la sortie ? – la grue perchée sur une patte au bord du champ efface tout ce qui l’entoure.
#25/40- 4/12/22 Tendre les bras vers le haut sentir la mobilisation des tendons et des muscles jusqu’à l’aisselle — laisser les bras retomber sentir la détente jusqu’au bout des doigts — faire rouler les épaules sentir se rapprocher les omoplates — pencher la tête vers l’arrière sentir craquer les vertèbres — pencher la tête vers l’avant sentir l’étirement des trapèzes — laisser la tête entrainer le buste vers le sol sentir se détendre les lombaires — se dérouler lentement pour remonter et sentir l’effort des jambes – corps vivant.
#24/40 – 3/12/22 S’asseoir – enlever le manteau – sortir le bouquin – trois fois les mêmes lignes – porte qui s’ouvre et se ferme – courant d’air froid – repérer une autre place – peur de vexer la personne à côté si on change – croiser et décroiser et poser à plat les pieds – abandonner la non lecture – compter six en inspirant faire une pause retenir le souffle compter six en expirant faire une pause retenir le souffle et recommencer – elle se lève à côté – le compte est perdu – réciter l’Albatros – Le corbeau et le renard – Le Loup et l’agneau – redresser la posture – détendre les épaules – la boule est dans la gorge et aussi dans l’estomac.
#23/40 – 2-12-22 6 personnes avec masque – 14 personnes à cheveux gris – 8 personnes à lunettes – 7 personnes à bonnet – 8 personnes me sourient – 4 personnes tiennent la caisse – 1 personne sert le pain – 1 personne sert le poisson – 1 personne sert la viande – 1 personne fait gouter du thé – 5 personnes font la queue à la caisse – 3 personnes avec queue de cheval – 2 personnes avec chignon – 1 personne avec chapeau – 1 personne nettoie la vitrine des yaourts – 1 personne en bermuda – 1 personne fait la manche assise devant le magasin – 25 personnes poussent un chariot
#22/40 – 01/12/22 Alors j’ai pris mon vélo et suis allée à la boîte aux lettres à côté de la Mairie et en même temps que ma lettre j’ai glissé un livre dans la fente (3cm épaisseur maximum). Le plus dur c’était avant, ce matin, LE livre. Pas charitable d’en prendre un dans la pile prévue pour la recyclerie, fermer les yeux et prendre au hasard ne marche pas il y a toujours une bonne raison pour que ce ne soit pas celui-là. Alors tirer trois lettres dans le scrabble G, T, E qui seront dans le nom de l’auteur et va pour Théophile Gautier, La morte amoureuse et autres nouvelles parce qu’il est moins épais que le Capitaine Fracasse.
#21/40 – 30/11/22
Rouler sur la départementale, guetter le moment, voir au loin sur son grand panneau le visage de Cloclo devant son moulin, freiner et m’arrêter un peu brutalement sur un petit espace de terre, sortir de la voiture, marcher sur l’étroite bande d’herbe mouillée, grimper sur la barrière de bois, espérer qu’aucune connaissance ne passera justement maintenant là pour me repérer groupie fervente au pied de l’idole presque effrayante de si près, prendre une photo avec mon téléphone, rentrer chez moi, mettre à exécution virtuelle ce projet ressassé depuis longtemps, lui ajouter des moustaches, regretter un peu ma lâcheté même avec une échelle la nuit je n’aurais pas osé le faire sur l’original.
#20/40 – 29/11/22 Dans cette pièce froide et assombrie par les arbres agités derrière la grande baie vitrée. Elle est enfoncée dans un fauteuil sans accoudoirs le visage tourné vers l’écran de son ordinateur, les doigts courant sur le clavier. Elle est assise de l’autre côté du bureau et l’observe les yeux brillants. Elle lui tend une feuille avec un sourire consolateur. Elle détache un chèque du carnet qu’elle tire de son sac à main et elle lui tend. Elle se lève, fait le tour du bureau et l’accompagne jusqu’à la porte en lui posant la main sur l’épaule. Elle sort de la pièce et tire un mouchoir de sa poche.
#19/40 – 28/11/22 Transactions avec humains – Passant devant la maison en bas de la rue, j’envoie un salut sonore à l’homme de dos qui fouille dans son coffre, il se retourne, c’est un inconnu qui me retourne un salut timide et étonné. Au magasin de bricolage, bonjour, c’est où pour les allume-feu, derrière à gauche, merci, ah non on a plus ceux là mais eux là c’est pareil. Transactions avec machines – A la caisse : posez vos articles sur le tapis – insérez votre carte de paiement – n’oubliez pas vos articles – merci de votre passage. A la sortie du magasin la cabine de photomaton m’interpelle : tu veux ma photo ?
Lundi matin, la factrice sonne, possible proie pour la 19, mais ce n’est pas moi qui lui ouvre la porte …14h toujours pas de matière, je pars sur mon vélo jusqu’au bourg, histoire de transactionner.
#18/40 – 27/11/22 « L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très-fertiles et très-peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes. »
Par M. le Chevallier de Lamarck, membre de l’Académie Royale des Sciences de Paris et de plusieurs Sociétés savantes de l’Europe, professeur de Zoologie au Muséum d’Histoire naturelle, « Système Analytique des Connaissances Positives de l’Homme » 1820, cité par Gilles Clément , ingénieur agronome, jardinier, paysagiste, botaniste, entomologiste « La sagesse du jardinier », 2004, retrouvé dans ma pile des livres à ranger.
Recopier c’est facile? Ben non c’est pas facile, choisir c’est pas facile, ne pas dire pourquoi on choisit c’est pas facile, errer devant les rayons de bouquins, passer du temps à ouvrir et refermer, redécouvrir, se demander si on a vraiment lu ce truc, fouiner dans les polars, dans la sf, regarder sur ma tablette ceux en cours de la médiathèque, regarder au pied du lit où depuis au moins trois ans traîne là la Montagne Magique, (mais qu’est-ce qu’ils y trouvent et pourtant impossible à ranger). Je n’ai pas l’habitude de noter des citations, de recopier, de prendre des notes sur mes lectures, plutôt faites en mode boulimique, le livre suivant dès le précédent fermé, encore pire avec l’abonnement à la médiathèque en ligne, choisir me renvoie à ma consommation de lignes et à ce que j’en fait ou à ce que je n’en fait pas.
#17/40 – 26/11/22 Par la rue du Pont de l’Arcade descendre sur les berges de l’École semer entre les ronces des plages de sable doux puisé dans la plaine du Cul de Chien naviguer sur des voiliers entre les roseaux jusqu’aux Grandes Vallées cueillir des bouquets de plumes sur le chemin de la Saussaye pour peindre les rochers de la Ségognole planter des pommiers des framboisiers des figuiers dans le chemin du Gros Poirier écouter le mystérieux chemin du Mont Solu chuchoter son histoire récolter les noisettes chemin de la Coudraie installer des ruches chemin du Buisson Piqué puiser des seaux de miel chemin du Puits Rond et des timbales d’hydromel chemin de la Fontaine Saint Martin.
Dériver dans mes lieux
#16/40 – 25/11/22 Chaussettes épaisses en laine qui grattent et n’entrent dans aucune chaussure. Sweat usé transparent par endroit avec logo discret bicolore bleu et noir bimatière polaire et lycra brillant. Pantalon en velours lisse noir brillant sur les genoux et les fesses devenu informe et mou taille élastiquée jambes larges pattes d’eph’ incroyablement solide depuis au moins 25 ans et impossible à jeter. Foulard en laine fond violet et fleurs bleues roses rouges pétales beiges et petites taches de lumière orangées. Pull anthracite bouloché adoré doux long. Pantalon d’escalade marron délavé maculé de taches de magnésie rapiécé à de nombreux endroits très large en matière légèrement élastique. Teeshirt fluide en modal rouge sombre à pois bleu marine et manches longues. Veste tricotée main grosse laine bouclée chinée vert de fond et taches jaune clair orange irrégulières fermée avec un seul gros bouton nacré bien 4 cm de diamètre les devants sont de longueurs différentes. Jogging bleu marine avec poches à l’italienne mais sans l’élégance déformé au bas des jambes resserré par des cotes frisottantes parsemé d’anciennes tâches de peinture et de terre récente rouge argileuse étalée sur les cuisses et les genoux. Casquette en toile de type US Army kaki. Chaussures de randonnée en cuir à tige haute type ampoules assurées et bleus aux chevilles. Parka noire délavée longue et matelassée avec capuche. Legging moulant gris en matière fine scintillante.
Mélange de vêtements croisés et de ceux qui m’entourent.
#15/40 – 24/11/22 T’aimes bien toi les combinaisons soit tu mets une combinaison soit tu mets rien oui soit tu mets rien dessous du coup tu sais pas j’ai pensé à toi viens voir une bonne chose de faite comme vous dites vous avez une chaise pour la p’tite j’vais voir ça va être juste c’est pas facile vous avez un compte chez nous nan j’crois pas vot’ nom c’est quoi ben si yen a un.
#14/40 – 23/11/22 Un noir corbeau trottine en picorant devant moi au milieu de la route et m’oblige à freiner brusquement pour que la roue de mon vélo l’épargne. Son œil fixe me semble impertinent, j’ai manqué chuter et lui n’est pas effrayé, il déploie tranquillement ses ailes d’un mouvement prétentieux pour s’élever de quelques centimètres et atterrir un peu plus loin souplement sur ses pattes grêles qu’on penserait incapables d’amortir le choc de son corps dodu, les ailes se replient et il recommence à piquer le sol du bec, m’ignorant, presque moqueur. Sa nonchalance de dandy m’énerve, presque envie de descendre du vélo pour le chasser.
#13/40 – 22/11/22 Je roule à bonne vitesse sur la route étroite bordée de champs, à l’horizon la silhouette brumeuse d’un village se détache sur fond de nuages gris traversés par de grands rayons de soleil, décor planté comme pour un film. La route se poursuit sur un coteau entre deux rangées d’arbres qu’une petite voiture rouge commence à gravir, je ne vois pas derrière le sommet, et c’est ce moment juste quand elle arrive en haut avant qu’elle disparaisse, elle va peut-être décoller et s’envoler.
#12/40 21/11/22 « Ceux qui savent… ils vous prennent par la main et vous font gentiment à côté d’eux balbutier votre petite histoire. » Leur lumière, votre grisaille, les entrailles posées là, dessous et les recouvrir de mots jusqu’à ce qu’elles disparaissent pour ne plus être discernables que par soi.
#11/40 – 20/11/22 Lire, ce grand livre, grand dans mon souvenir je pouvais le regarder posé debout ou à plat mais impossible à tenir dans les mains, plus haut que moi assise, une solide couverture cartonnée reliée de toile bordeaux, des elfes, des fées, des lutins sur toutes les pages, je ne sais plus s’il y avait du texte, c’était avant de comprendre les mots écrits pourtant il vient comme premier souvenir de lecture, les lutins habitaient dans des champignons, les elfes se balançaient sur des coquilles de noix et les fées dormaient dans des hamacs de feuilles, ou le contraire.
Je ne sais pas ce qu’est devenu ce livre, impossible de le retrouver en parcourant sur des pages de couvertures de livres d’enfants sur mon explorateur.
#10/40 – 19/11/22 Pendant que je bois ce verre d’eau je pense à toutes les bouches qui ont déjà bu cette eau | Pendant que je dors je rêve | Pendant que je dors je cauchemarde | Pendant que j’ai les mains gelées je pense que je pourrais ne pas avoir de gants | Pendant que je mange cet éclair au chocolat je pense qu’il va bientôt être fini | Pendant que je médite je pense qu’il ne faut pas penser | Pendant que je m’édite je pense que c’est exagéré | Pendant que je mets cette écharpe je pense à celle qui me l’a tricotée | Pendant que je tricote je pense à celle pour qui je le fais | Pendant que je prends un café à l’intérieur je rêve d’un pastis en terrasse au soleil
#09/40 – 18/11/22 Ne pas s’attarder sur les plumes de ce pauvre pigeon à moitié déchiqueté par mes chats si doux , ne pas s’attarder sur le tas de feuilles devant la porte à l’affut pour s’engouffrer dès que j’ouvrirai, ne pas s’attarder sur la vague de mélancolie qui me surprend en entendant ce vieux Heroes et ce son si daté, ne pas s’attarder quand la jeune marchande de pains d’épices, devant laquelle personne ne s’arrête, au moment où je croise son regard me propose d’en goûter un morceau et que je n’accepte pas et poursuis mon chemin pleine de regrets mais incapable de faire marche arrière.
« S’obstiner dans ce geste de noter », ça remplit la journée, la tête, à se dire que je me lève tôt et puis je note et comme ça c’est fait, mais la journée est à venir…pas simple.
#08/40 – 17/11/22 Sami Nestico Zar Amir Ebrahimi Golshifteh Farahani Jonathan Franzen Stephane Heuet René Cassin Paco Rabane Rachid Benmar Laura Mendes Claude François
Croiser au réveil la partition de Fancy Pants posée sur le pupitre arrangée par Sami Nestico. Petit déjeuner devant le journal, deux comédiennes iraniennes Zar Amir Ebrahimi Golshifteh Farahani. Discussion sur les cadeaux de Noël, Crossroads de Jonathan Franzen et le deuxième tome de la BD de Stéphane Huet. Pas grande récolte dans les rues du village, rue Grande et rue du Pont mais je cueille l’école René Cassin. En ville la grande affiche pour un parfum de Paco Rabane. Déguiser les noms originaux pour Rachid Benmar et Laura Mendes. Retour par le Moulin de Claude François.
#07/40 – 16/11/22 silhouette gracile et puissante son visage m’évoque une olive lisse et charnue la carnation est mate un peu jaune les yeux et les cheveux sont foncés bruns | incongru ce vieil homme à casquette qui appuie ses deux mains sur le pommeau d’une canne adossé debout au mur d’une maison dans cette rue très passante | échange d’un bonjour avec ce guerrier qui distribue les prospectus extraits d’un petit chariot qu’il tire de boite à lettre en boite à lettre son visage de chef indien ses longs cheveux noirs qui dépassent du bonnet ses pommettes hautes et ses joues creuses
Hier j’ai juste croisé mes chats, ce sont des proches, pour rencontrer des inconnus aujourd’hui j’ai pris mon vélo.
#06/40 – 15/11/22 Au lever du jour, les pieds dans l’herbe mouillée du jardin, j’ai vu la dernière tomate cerise trembloter au bout de sa tige, j’ai vu une feuille de l’érable chuter tranquillement et trois oiseaux se sont envolés du marronnier à mon approche, avec ce bruit d’ailes effrayées.
Mise en place d’une sorte de rituel, lire la consigne le soir pour infusion pendant la nuit, avant le café noter tout ce qui vient pour choisir plus tard.Tout devient matière à carnet, en nettoyant une sangle dans un évier trop petit, je pense aux planches à laver dans les lavoirs et je me dit qu’il faudrait le noter…comme une sorte de manie, encombrante un peu.Pour tout ce qui se passe dans le jardin au petit matin, je suis la seule spectatrice. Est-ce que je fais un contresens : « n’aura remarqué » au lieu de « n’aurait remarqué » ? Si quelqu’un m’avait accompagné aurait-il remarqué les mêmes choses.
#05/40 – 14/11/22 Au matin, un plafond de brouillard blanc assez transparent pour que je distingue l’ombre d’un oiseau qui le traverse, je roule dans une nappe cotonneuse. Le blanc se trouble, blafard et jaune, peut-être du soleil derrière, ça change très vite, le tapis uniforme se transforme en nuages distincts, des formes rondes, étirées, mousseuses ou compactes, devant moi une trouée de lumière, le rond lumineux du soleil voilé qui traverse les couches et dans le rétroviseur une lointaine mer grise. Vitre gauche, les nuages défilent rapidement à ma rencontre et s’éloignent, se délitent en filaments et devant moi, sur fond bleu, une barrière de petits moutons fixes et blancs sur laquelle glissent les fumées de nuages. Grand soleil à midi.
Comme si l’observation visuelle, n’était pas un canal ouvert pour moi. J’ai pu être à l’écoute de ce qui venait, l’imprévu, le lointain, le « il aurait fallu » mais pour le ciel du lundi, je ne peux pas laisser venir en faisant autre chose. Et ce matin une bonne heure de route, c’est bien ma veine ce ciel qui change tout le temps et comme je roule, j’ai peur d’oublier, je choisis de m’arrêter sur un parking pour noter sur mon carnet toujours dans la voiture (un carnet de papier).
#04/40 – 13/11/22 De cette phrase qui émergeait si nette au petit matin dans le brouillard et le mal de tête après la courte nuit, il ne reste qu’une espèce d’équation reliant 20 et 40 par une logique implacable et évidente, totalement disparue depuis.
#03/40 – 12/11/22
Belle soirée douce, belle nuit, bel endroit et ce matin le soleil qui perce la brume, les reflets sur la mer et tout ça, les papotages tranquilles autour du café, le petit déjeuner qui dure encore et puis le départ, un peu de vent, l’odeur du camion, toujours pas envie d’aller là-bas, pas envie de civilités, il aurait fallu ne pas tourner au rond point, se tromper de chemin, j’aurais préféré ne pas.
#02/40 – 11/11/22 Comment sommes-nous rentrés pieds nus de la plage et de quelle plage ? Dans ce coin là sur la carte il n’y a pas de plage, il y a des marais, « la Venise Verte », un fleuve qui arrivera bien à la mer mais plus loin. Pourtant c’est sur le bord d’une plage que nous avons oublié nos sandales et nous devons y retourner, les retrouver, à pied et pieds nus. Ce qui reste très clair c’est l’humiliation pour une histoire aussi dérisoire, mais à 10 ans…Je suis certaine que nous avons marché sur un pont et peut-être ensuite à gauche, sûrement la plage sur la berge et le fleuve qui paraissait une mer. Le retour encore plus terrible, traverser le restaurant de l’hôtel à l’heure du repas et les rires en voyant passer ces deux mômes avec leurs sandales plastique.
La question qu’on se pose après, jamais reparlé de ça avec mon frère, s’en rappelle-t-il? Et aussi : bizarre tous ces pieds dans mes carnets.
#01/40 – 10/11/22 Pulsation de noter
Concentration intense, souffle lent et profond, conscience du corps, un cours de yoga sans surprise. C’est juste à l’occasion d’une torsion vers la droite que le pied nu de ma voisine rencontre mon regard, sa forme me dérange, ses orteils sont recroquevillés comme s’ils ne pouvaient se déplier, se poser et un sentiment de dégoût mêlé à ma honte de le ressentir ne me quitte pas jusqu’à la fin de la séance consacrée exclusivement désormais à éviter de regarder ce pied qui m’attire pourtant.
#Prologue – 8/11/22 Antidotes
Il me semble que tout prend naissance dans un cahier, un carnet, un bloc ou des feuillets que j’agrafe et parfois même que je couds pour les relier…tout ce qui commence, tous les débuts, toutes les résolutions, tous les projets, des plus quotidiens aux plus ambitieux, de la liste des graines à renouveler pour la prochaine saison du potager à l’histoire d’un jazz-band. Chacun leur tour sur le haut de la pile. Un besoin impérieux.
Il me semble que rien ne se termine pour aucun de ces cahiers, carnets, blocs ou feuillets, les pages laissées blanches arrivent plus ou moins rapidement, le désir s’atténue tranquillement, la nécessité s’éloigne doucement, laissant un espace vide, si jamais…
Il me semble que je sais où sont rangés ces cahiers, carnets, blocs ou feuillets mais le hasard d’une recherche peut en faire resurgir que j’avais oublié avoir jamais commencé.
Antidote à l’angoisse du grand effondrement. Je me méfie de mon ordinateur, de mon téléphone. Si un jour tout s’arrête, ils seront toujours là mes cahiers, mes carnets, mes blocs, mes feuillets et au moins un crayon de papier.
Bien sûr. S’empêcher ! Lutter contre quoi dedans ?
C’est que lorgner les pieds des autres, c’est louche!
familière cette équation délirante, et le reste est à l’allant, joliment… factuel.
Factuel, c’est le plus simple pour l’instant, merci pour votre lecture.
je ne commente pas, sais pas
mais pas pu résister au désir de remercier pour le sourire de cette phrase enfuie
Un sourire c’est beaucoup, merci pour votre lecture.
J’ai tout aimé !
merci, comme c’est agréable…
J’ai bien aimé cette description du ciel depuis la voiture, on y est !
Merci d’y être passée.
j’aurais voulu être avec vous, m’auriez vous fait remarquer ?
Vous lire ici m’a mené vers votre carnet et puis vers votre blog, quelle belle découverte que votre univers, merci.
tous ces ne as s’attarder qui font que nous sommes humains simplement (surtout le petit regret sans effet)
J’aime tout ce que laisse deviner ou imaginer votre texte
Merci Betty pour votre passage
oh j’ai failli aussi, la tendresse gardée en dedans !! et aujourd’hui, richesse encore… et tant de synchronie – merci Isabelle 🙂
29 | j’aime beaucoup la délicatesse du texte et la dernière phrase tout particulièrement
« bien sûr je vais la regretter, la tendresse qui reste bloquée dedans. »
Merci Gwenn et Huguette, certaines propositions nous dévoilent plus que d’autres.
De passage à mon tour. Chemin faisant parmi les textes délicats, je glane Fancy Pants par Sammy Nestico que j’écoute derechef avec le Swr Big Band…
ça fait toujours du bien, j’ai un petit faible pour la version originale Basie (et pour Cleveland Eaton)
bravo pour le son
« Le lambeau »est une terreur une merveille accommsgbée de musiques vivantes – vivantes…
Un lien peut être entre la #38 et la #39 à venir ?
merci d’être venue chez moi, ce qui m’a conduite vers cette page pleine de douceur, je trouve…
merci Isabelle
Je découvre votre # 40 et en aime la persévérance. Merci!
Merci pour toutes les réponses aux questions supposées. Une remise sur les rails salutaire.
Et merci pour votre passage. J’ai peut-être oublié Si je prends ce carnet trop au sérieux …