Le premier carnet, ce fut l’absence de carnet. Pendant longtemps. 5 ans au moins, habitude d’écrire sur tout ce qui trainait sous la main, verso de photocopies, carrés jaunes de pense-bête, tickets de métros périmés, bouts de factures déchirées, il m’est même arrivé d’écrire directement sur mon vieux bureau. J’ignore pourquoi j’ai écrit de la sorte pendant si longtemps. C’est pas comme si je n’avais pas les moyens de m’acheter un cahier. Je me souviens d’ailleurs, en avoir acheté un, un de ceux pour les écoliers, j’avais même écrit sur la couverture « journal ». J’y avais crocheté au trombone toutes les notes sur papier volant et avais pris la résolution d’organiser mon travail. J’ai retrouvé ce cahier vingt-ans après intact. Seule la première page avait été un peu entamée de quelques phrases sans intérêt, qui faisaient semblant d’écrire . Les pages vierges n’ont pas jauni, l’odeur du neuf est encore palpable à l’ouverture.
Le premier carnet utilisé fut un moleskine acheté à ombre blanche, avant mon départ au Vietnam. J’avais entendu dire c’était LE carnet des écrivains. Je regardais avec désir ses pages encores blanches, j’y imaginais les mots et les ratures de Céline ou d’Hemingway. Il était la promesse d’un écriture exigeante et assidue, de lui devait naître un livre. Un livre oui, il était déjà idée de livre avant d’avoir écrit quoi que ce soit. D’ailleurs, les premières pages écrites étaient celle d’un roman… Je n’y prenais pas de notes. Mais son format m’était trop petit. Ma main gauche s’y sentait à l’étroit.
Ainsi, je l’ai abandonné. J’étais à la recherche d’un nouveau carnet, plus grand. J’en ai trouvé un, dans une librairie d’ici, à la couverture en faux cuir marron. Il:n’était,pas cousu mais du fil y était collé pour paraître plus artisanale. Il était de marque coréenne je crois. Il possédait des lignes, le papier blanc cassé. Hors nourriture, ce fut le premier achat fait en arrivant à Saigon. Je me souviens que le vendeur avait essayé de m’arnaquer. N’ayant pas de monnaie comme tant de touristes de passage retirant leurs grosses coupures au ATM du coin, j’avais donné un billet 500.000 dongs. Le carnet coutait 50.000. Le caissier, avec un sourire étrange, glissa le carnet dans une poche plastique sans me rendre la monnaie. Les sourcils froncés, je le regardais fixement, le front transpirant, lui commençait à rire, saisissant mon malaise, il a fini par me rendre ce qu’il me devait en m’adressant des mots dans sa langue… Première interaction ici, seul, profond malaise, peur de la ville, je m’y sentais vulnérable, comme un enfant perdu… Je suis rentré me réfugier dans ma chambre verte, je m’y suis enfermé des jours entiers, j’ai écrit, compulsivement, dans le carnet, mon malaise d’être étranger ici, je l’ouvrais comme une issue de secours quand la vie devenait irrespirable ou absurde. Ce carnet m’a suivi partout, j’y notais la solitude, l’ennui, les tares, la moiteur, les ciels, les heures, quelques rares rencontres, parfois réelles, souvent inventées. J’y dessinais quelques croquis aussi. Ce carnet à 15 ans aujourd’hui, rien en m’y intéresse mais je n’ai pas jamais pu m’en séparer, et quand je le relis, je ne reconnais pas mon écriture. D’ailleurs, chaque page semble avoir une écriture différente, la couleur y est aussi changeante, stylo bic sec bleu, stylo noir qui bave, stylo vert presque à court d’encre, dont la mine force le papier pour y graver les lettres, crayon 2B, phrases au HB ont disparues depuis le temps, et quelques cartes postales glissées dedans…
J’ai mis du temps à passer au PC, j’en avais un mais je ne pouvais l’avoir constamment sous la main, il était bien trop lourd, et encore difficile de me détacher de l’habitude du geste manuscrit à l’époque. Des années après, l’iPad (le téléphone, jamais, impossible d’y écrire, encore aujourd’hui) est devenu le carnet, sur notes, puis sur pages, puis directement sur le blog, j’y mitraillais le clavier tactile, mon écriture n’avait plus de visage propre, je changeais parfois la police, pour me duper. L’écriture numérique m’a aussi aidé à me séparer de moi-même, à lire mes propres notes comme celles d’un autre. Je ne me prenais plus pour mon écriture. Une fois écrites, les notes avaient leur existence propre, détachée de leur auteur.
Et puis, du jour au lendemain, sans raison, j’ai arrêté de prendre des notes, de tenir un journal. L’occasion de reprendre aujourd’hui.
Super de vous lire ici !
Merci, content de vous y trouver aussi. Je vais essayer de tenir cette fois ci. Au plaisir de vous lire.
oui j’ai eu un petit sursaut de joie en voyant votre nom… mais sagement ai commencé par les plus anciens, attendais d’arriver ici
pour le premier je comprends, les idées ne viennent souvent que quand on n’a pas de carnet et ensuite pourquoi retranscrire (moi me sers des pages blanches à la fin d’un livre)
mais surtout il y a le récit du premier carnet de Saigon … impression d’assister à la scène
Merci chère cosaque. Oui, n’ai jamais retranscrit ce qui se promenait sur des feuilles volantes ensuite. Comme si c’était justement l’absence de lieu où écrire qui entrainait l’écriture. Me suis souvent rendu compte que lorsque j’ai le temps et le carnet (ou l’appareil) pour, j’écrivais moins. Au plaisir de vous lire ici.
Contente aussi de vous lire ici! La solitude et le carnet comme refuge…