#40 jours #40 | Dans l’œil de Sauveterre

Figure 91 – Le marché couvert – Atlas des régions naturelles (Haute Saintonge), Éric Tabuchi et Nelly Monnier – copie d’écran 25/10/2022

Rousso : j’ai fini par retrouver deux autocollants qu’on peut acheter sur eBay ! l’un à 1,30‍ €, l’autre à 2 €.

Si j’ai bien compris, pour finir, on réalise une projection de tout ce qu’il y aurait encore à faire, à partir des textes précédents, dans tous les sens possibles. Et on recommence l’exercice autant de fois qu’on veut, qu’on peut, dans une courbe qui tend à l’infini (en dérivée zéro).

Je commencerais bien par regrouper toutes les notes ensemble et les mettre en ligne comme ça, sans plus d’explication. Brut.

Je prends en écharpe la présentation du nouvel atelier d’écriture de MCf, avec la photographie, pour son interrogation sur l’image — et j’en ai beaucoup employées, ici, des images : « … non pas, écrire, en s’interrogeant sur l’image, mais, s’interroger sur nos récits, sur nos syntaxes, sur nos approches de récits, dans la mesure où, on pratique, aussi, chacun, la production d’images, au niveau du carnet, ou, au niveau de, l’objet édité, publié. Ai-je parlé image fixe ? Probablement tout ça est transférable à l’univers de, l’image, mouvement… — … on ne peut pas, s’interroger, sur son texte, sans s’interroger sur, ce que Francis Ponge nommait, les pratiques d’écriture. Qui on est quand on écrit ? comment, l’installation de l’écriture, travaille, à rebours, sur soi-même, écrivant ? Et, ce qui se constitue comme auteur ne participe pas comme quelque chose de vertical, je, écrit, mais, participe de cette interaction, le je auteur se constitue, parce qu’il écrit, et, ça, c’est vraiment ce que je voudrais explorer… — C’était juste pour vous dire qu’on travaille sur auteur, écriture, et ce qu’on écrit, mais ce qu’on écrit qui n’est plus dissociable, de la voix, des images, du geste même, de publier, y compris si c’est le livre, et que ça on va l’explorer, en se donnant l’artifice de le séparer de soi-même… »

La première chose à faire, dans la perspective d’un format de page réduit (en vue d’une publication papier ?), c’est de préparer les images et légendes groupées à une réduction de taille avec conservation des proportions. — La seconde chose à faire… tout relire et noter tout ce qui me vient à l’esprit pour prolonger le travail. C’est tout.

Juste ça, deux choses à faire : les images, le texte. Mais autant la première, technique, devrait aller assez vite, autant la seconde semble infinie : se relire pour écrire des projets d’écriture qui ne sont pas l’écriture…

40 jours, autant de nuits, sans fin… il y a quoi déjà après le déluge ?

C’est seulement l’affaire de quelques notes de plus. Disons une quarantaine. Heureusement, il y a le nouvel atelier, hebdomadaire lui, pas quotidien. À chaque nouvel exercice, à chaque nouveau texte écrit et mis en ligne, je pourrais me dire : Allez, maintenant retournons à Sauveterre, quelques notes pour voir ce qu’on pourrait encore faire.

Non, pas d’uniformisation des légendes, des références.

Ça commence bien… je viens de jeter un œil au tout premier texte, et je ne me souviens pas en quoi consistait l’exercice. Je vois qu’on part avec une liste, mais pourquoi ? En tout cas, j’ai fait un petit tour de Jonzac en six lieux. Après tous ceux que j’ai explorés ensuite, je pourrais en ajouter d’autres, oubliés. Par exemple, cette ancienne carrière peu avant l’entrée de la ville, déjà transformée en poubelle à ciel ouvert quand j’y allais, enfant, avec papi Omer, qui récupérait je ne sais quoi sur ces monceaux d’ordures et d’objets en tous genres qui me servaient de terrain de jeu. Aujourd’hui, le lieu a été nettoyé et la végétation s’est largement installée.

Redimensionner les images me demande plus de temps que je n’aurais cru. Mais des images à 10 cm le côté le plus long, c’est bien non ?

Revoir un à un les textes n’est pas la bonne méthode. Mieux vaudrait, d’abord, laisser flotter le souvenir de tout ce qui s’est écrit et faire surgir les fantômes. Notamment, les personnages dont on a parlé, et qui nous parlent de ceux dont on n’a pas encore parlé, ou trop peu.

En ce moment, à Jonzac, le châtelet a disparu dans un coffre blanc. J’aurais préféré que Christo s’en occupe.

Les animaux. Les chiens et les chats. Les oiseaux. Il faudrait ne pas les oublier. On ne parle suffisamment des animaux. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’animaux à Jonzac. Il y a les canards sur la Seugne, dans l’étang du Mail de Seugne. Il y a le coin animalerie du Bricomarché, des souris et d’autres petits rongeurs, des mandarins, des perruches, des poissons d’aquarium, des lapins.  Il y a le chien, le chat d’untel. Surtout celui dont on se méfie, qui ne remue jamais la queue quand tu t’approches et qui relève même la babine. Il y a les sauvages, aux alentours, que tu aperçois de loin, un lièvre sur le bas-côté qui détale, un chevreuil qui traverse la route et monte dans le coteau plus vite que toi, une buse qui tournoie dans un courant d’air ascendant, les petits marcassins qui traversent la route, et la mère qui déboule et boum ! Il y a aussi cet âne, croisé sur les bords de la Seugne, un petit âne gris.

J’ai commandé le livre de Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Je suis assez impatient de savoir comment il fonctionne, en espérant qu’il m’aidera. La version que j’ai trouvée jusqu’à présent sur la toile est incomplète, c’est seulement la présentation de Benjamin. C’est déjà bien.

Les deux premiers textes concernent deux cafés dans lesquels j’allais régulièrement, avec les potes. Je me souviens qu’on avait compté une quinzaine de bars à l’époque. On n’a jamais fait la tournée.

Ça commence aussi en chanson, avec un morceau de Bérurier Noir que je n’ai plus jamais entendu ailleurs, et dans lequel le chanteur hurle la jeunesse emmerde le Front National (bis). — C’était quoi les autres morceaux de musique ? Il y avait quoi dans le juke-box ? Noir Désir, Clash, Sheriff, Garçons Bouchers, Doors, Ludwig von 88, Négresses Vertes, Marquis de Sade, R.E.M., Thiéfaine, Joy Division…

On ne sera jamais des pros. — Je ne comprends pas pourquoi une copie d’écran s’insère en 9×16 cm quand les autres ont toutes la même hauteur, 8,17 cm. J’ai dû la rétrécir, tasser les proportions de l’image. Je crois que ça ne se voit pas vraiment.

Il faudra certainement revoir la disposition des textes. L’atelier d’écriture a sa propre organisation. Chaque exercice engage tel thème, telle technique, qu’on suit, contourne, renverse. Mais l’ensemble des textes produits les uns après les autres ne crée qu’un livre en kit : on sort les éléments de la boîte, reste à les assembler. Et ce dernier texte doit en constituer la notice.

L’idéal serait de croiser la notice avec le livre d’Emma, qui a aussi beaucoup écrit sur Sauveterre. Elle a déjà commencé, avec des Post-its collés au mur pour comprendre ce qu’elle a fait et, si je ne me trompe pas, ce que je fais de mon côté. En fait c’est ça : je devrais créer ma notice non en me relisant, mais en la lisant elle — comme j’ai fait avec ses Morts de soif.

Après l’exploration des adresses contenant le nom Émile Gaboriau, très peu nombreuses, on pourrait s’intéresser à celles des Émile Gaboriau actuels. Et qui est-il, aujourd’hui, que fait-il dans la vie, ici et là ?

J’ai reçu le Benjamin.

Dans son premier texte, il faut vraiment attendre la fin pour savoir qu’Emma vise Sauveterre, avec Émile Gaboriau, et quelques autres références que je suis certainement le seul à connaître (le sanglier de métal en tête). Il y est question d’une chambre. Ne pourrait-on pas la coupler (d’autant qu’il y est aussi question de désir) à la chambre dont je parle, celle du Che et de Mandela ?

(Je me souviens que la lecture du texte m’avait troublé, d’emblée, avec cette adresse au lecteur très directe : « D’où m’observes-tu ? » Et cette photo de Nick Cotterell, qui est comme une réponse au tableau de Chasse nocturne de Paolo Uccello : comme si le cerf chassé, par une horde de chiens et de chasseurs, s’enfonçant dans la forêt et la nuit, revenait, tout autre, dans ce corps de femme nu au masque de cervidés, couvert de marques, de chiffres, de signes mystérieux. D’où tu m’observes ? Des profondeurs d’où je remonte, marqué de la langue des signes.)

Mais il y a aussi la chambre rouge (Guitoune).

Dans son second texte, à Emma, j’aime beaucoup Malice en raccourci de mamie Alice (et pour la malice qu’il convoque). Ça me renvoie directement à elle, mon arrière-grand-mère. Emma n’en sait rien. Alice Fissou, que j’ai connue pendant une vingtaine d’années, avec le vieux Al Zheimer qui s’est bien occupé d’elle, jusqu’au bout. C’était pas la malice, lui, qui l’habitait, c’était la Maldi. D’ailleurs, on ne la comprenait plus à la fin. Des mots aussi propres que ce que mamie Lulu trouvait dans ses couches. — J’en ai parlé d’une façon plus indirecte, mais où ? Je vais retrouver le texte.

Cette « maison drôlement remontée », je la verrais bien comme celle du Portail national qui attend la sienne, dans le terrain en friche.

Ah ça y est, ça a été rapide (il aura suffi d’écrire couche dans la zone de recherche de l’explorateur de fichiers, une fois le dossier Tiers Livre ouvert) : le texte sur mamie Alice, c’est dans le cycle Autobiographies, en ligne, Purée jambon. Quelle photo, qui n’existe pas, je pourrais apporter ?

Dans le troisième texte d’Emma, je trouve l’expression « thébaïde de Sauveterre ». Ne pourrait-elle pas faire office de titre ? — Dans ce texte, il est question des héros de la résistance à Jonzac, Ruibet et Gâtineau, sous l’angle du toponyme, ici ou là dans le monde. Je ne sais pas si Emma n’a fait qu’ouvrir le bal de ses recherches, mais c’est un beau complément à ce que j’ai pu écrire les concernant. Il faudrait creuser un peu plus chaque lieu peut-être. — Moi je me suis intéressé à Émile Gaboriau. Et Sauveterre, dans son œuvre, ça ressemble à quoi, dans La Corde au cou ? Ne pourrait-on pas trouver d’anciennes cartes postales de Jonzac correspondant à telle ou telle description ?

Un texte sur les sols : il doit manquer beaucoup de types de sols existant à Jonzac, on pourrait en ajouter ; on ne peut pas parler de tout, et ce n’est pas le but ; qu’est-ce qui ferait qu’on en ajouterait, tel ou tel élément dans les paragraphes, pour grossir le texte, intégrer de nouveaux paragraphes ? ; mais que faire du souvenir sur lequel s’appuie d’abord le texte, on l’émiette ? — non, c’est déjà fait —, on le prolonge ? En tout cas, j’aime bien les deux photos qui l’encadrent et se font écho dans le même type de perspective spatiale pour un jeu de lumière inverse et des cadres temporels distants.

L’espacement entre le titre et le texte, le texte et les images (sauf les centrées ou disposées contre les marges), ce sera deux lignes.

Un exercice hors-série, concernant le double, proposait de réécrire un des textes sous l’égide de cette figure, avec pour objectif une « déprise du réel ». D’accord, mais s’il s’agit d’un texte qui a déjà dépassé les bornes du réel, l’objectif c’est quoi ? Une reprise du réel ?

(Je n’ose pas imaginer la réécriture de tout le cycle ainsi, en double. De toute façon, il n’est pas impossible que deux textes se fassent déjà écho comme deux miroirs face à face, ou presque.)

Figure 92 – Rue de Champagnac – photo 360° sur Alamy – capture d’écran 2022-10-25 174111

Le Canotier, un soir de concert, et on était nombreux à se retrouver là et à finir la soirée en boîte tous ensemble ou presque. Il me semble que je pourrais accumuler les noms, les visages, les groupes. À chaque nouveau tour du regard dans la salle bondée, ça n’en finirait pas d’entrer. Au moins les noms. Et il n’y aurait d’ailleurs plus ça : une liste de noms. — Et le décolleté de Marli…

Pour tous ces textes qui relèvent du souvenir, de l’époque du lycée et des premières années à l’université, j’aimerais beaucoup voir les photos que certains ou certaines ont dû prendre, avec un appareil jetable.

Le plan de Sauveterre, qui n’existe pas : je me demande si le fait de ne pas avoir retrouvé le vieil almanach du facteur, datant de mon année de naissance, n’a pas joué sur l’idée d’un plan de la ville à créer, au lieu d’en décrire un qui existerait. Résultat : le plan prend en écharpe le passage du temps sur la ville. — Et je n’ai toujours pas retrouvé l’almanach du facteur de 1974.

Le bahut.

Emma a dit du texte concernant la rue « souterraine » : « C’est l’hallu complète ce texte ! » ; et si elle le dit, ça doit être vrai, car elle n’est pas la dernière en matière de texte allumé. — voilà peut-être le texte que je devrais reprendre sous l’espèce du double. Dans mon souvenir, j’essayais de coller au souvenir en prenant quelques raccourcis pour aller à l’essentiel, mais sans trop m’éloigner du réel.

(J’ai trouvé une autre image du passage souterrain, en mode 360° : elle serait peut-être mieux que la copie d’écran de Google Earth, avec l’entrée et la sortie côte à côte ?)

J’ai lu un petit inédit d’Hannah Arendt sur la liberté très éloquent aujourd’hui. J’en ai tiré huit languettes collées ici et là.

Si ce n’était pas moi qui avais écrit tout ce que j’ai écrit, est-ce que j’en tirerais au moins une languette ? Et sur quoi ? Est-ce que je parviendrais au moins à me lire ? Et jusqu’où ?

Le Bahut — Je devais effectuer un remplacement à l’année au lycée, pour une douzaine d’heures par semaine. Deux classes de première, deux groupes de spécialité Humanités Littérature Philosophie. Je devais commencer le mardi 27 septembre 2022, une demi-classe de 9 h à 10 h, l’autre de 15 h à 16 h. Exactement une semaine avant, j’avais été contacté par le rectorat. J’ai aussitôt fait le nécessaire pour changer mon planning de travail à la structure. Le jeudi, tout était réglé et je me suis engagé auprès du lycée. Je m’y suis rendu le lendemain matin, j’ai rencontré la proviseure et une professeure de français surtout, qui m’a expliqué le programme de l’année en moins d’une heure chrono, mindmapmad à l’appui. J’ai aussi récupéré un livre, quatre feutres rechargeables (noir, rouge, vert, bleu), et la clef de la salle de cours. J’ai commencé à préparer mes premières séances dans l’après-midi, en faisant des fiches, en accumulant mes livres sur le bureau, en ouvrant je ne sais combien de sites et de pages sur la Toile, avec des films en tête, des tableaux, des textes, les problèmes de grammaire à caler, les évaluations à intercaler, les techniques d’expression à revoir, rhétorique et représentation, le monde et la parole, de l’écriture pourquoi pas, et dans la nuit de samedi à dimanche, après une petit alerte à larmantes vendredi après-midi, le programme sur le Pouvoir de la parole m’a fait crier, en somme, Merdre ! Tout à valdinguer. Insomnie en crise de larmes. À n’en plus finir. J’ai fini par renoncer. Un mot en quelques phrases à qui de droit, via messagerie, et voilà. On ne change rien à la structure. Et comment rendre le livre ? Et les feutres ? Et la clef ?

Du coup, le Domaine des Fossés. C’est la structure psy de l’hôpital de Sauveterre. Une structure éclatée en plusieurs édifices, dans un grand site, pour de nombreux secteurs spécialisés.

Les lignes vides, ce n’est pas que je n’ai rien écrit, c’est que je n’ai pas noté. Alors je l’écris comme ça, avec une ligne vide, qui en vaut peut-être dix, cent, mille.

Je me suis fait grave bahuter. Et « adieu veau, vache, cochon, couvée » de l’Éducation nationale, et les petites Perrette et les petits Perret qui auraient bien aimé, malgré tout, écouter cette petite histoire, d’une façon ou d’une autre, avec la chanson Paroles, paroles interprétée par Dalida, L’Odyssée et l’épisode du Cyclope trompé par Ulysse se faisant appeler Personne, avec Sophocle faisant d’Ulysse ce monstre invitant Néoptolème à « séduire l’âme de Philoctète par des paroles trompeuses », avec le Roman de Renart, où l’on voit comment Ysengrin eut envie de se convertir, « pour de belles côtelettes sur les charbons ardents », et La Fontaine, Le Corbeau et le Renard « pour montrer sa belle voix », Le Pouvoir des fables parce que « Le monde est vieux, dit-on, je le crois, cependant/Il le faut amuser encor comme un enfant », et la lettre de Mme de Sévigné où le roi, avec de mauvais vers de son cru, trompe le maréchal de Gramont, et un extrait du Gorgias pour l’analogie entre la puissance du discours et l’ordonnance des drogues, et le chant des Sirènes de L’Odyssée, « lourd d’un plus lourd trésor de science », et les Stances à Marquise de Corneille où « Le même cours des planètes / Règle nos jours et nos nuits », et Tristan et Yseult et Les Liaisons dangereuses — eh oui, ce sont les textes au programme du Pouvoir de la parole qui me sont tombés dessus dans ma nuit de Merdre, au Bahut !

Le Bahut, les Fossés, voilà de quelles nouvelles expériences à venir pourrait s’enrichir le travail sur Sauveterre, comme un rapport de cause à effets. Et les Castors, le camping excentré, où je ne suis encore jamais allé.

Combien d’autres lieux encore inconnus, devant lesquels je passe pourtant régulièrement sans jamais m’arrêter ? Il y aurait une petite liste à faire. Devant ou non loin de là. Et ça ressemble à quoi, au moins en passant ?

On devrait écrire plus souvent des livres de lignes vides. Mais il y en a déjà tellement comme ça, et avec des lignes pleines sur des centaines de pages. Et même sur les écrans.

La première fois, je me suis perdu dans le Domaine des Fossés, je ne trouvais pas mon lieu de rendez-vous. La prochaine fois, j’arriverai par le parc, par en haut. C’est joli par là. C’est calme.

Et pourquoi Sauveterre ? Pourquoi Émile Gaboriau a-t-il choisi ce nom-là pour parler de Jonzac ? Mais d’ailleurs, s’agit-il vraiment de Jonzac ? Si je lisais les extraits où il est question de la ville, dans La Corde au cou, est-ce que je reconnaîtrais ma ville, à travers la fiction comme à travers le temps ? Tous les noms de lieux, des rues, des places, des quartiers, relèvent-ils de la fiction ? Est-ce que je m’y retrouverais, dans cette ville d’un autre temps, passée au filtre de l’imaginaire d’écriture ? Par exemple, ne s’agit-il pas de cette rue toujours plus souterraine à mesure qu’elle monte au château, quand on va « de l’autre côté de la place du Marché-Neuf, tout au sommet de la rue de la Rampe, une rue qui n’est guère plus praticable qu’un escalier » ? À quoi peut correspondre cette « singulière rue que cette rue des Vignes, qui ne mène nulle part, peu connue et si peu fréquentée que l’herbe y pousse dru. Très longue, elle affecte la forme d’un vaste demi-cercle dont la rue de Boulainvilliers est la corde. Montueuse, tortueuse, raboteuse, à peine pavée, elle ressemble bien plus à une ruelle de village qu’à une des voies de Paris. Point de boutiques, à peine quelques maisons, mais de droite et de gauche d’interminables murs de jardins, au-dessus desquels s’élèvent de grands arbres » ?

J’ai noté ailleurs (via l’atelier du Grand Carnet) : C’est peut-être Annie Ernaux, dans L’Atelier noir, qui me donne la clef de l’organisation des quarante textes de Sauveterre. « Une sorte de travail archéologique dans la mémoire collective et la mémoire individuelle. » Un travail archéologique où la matière concernée, grandement, c’est aussi de la chair humaine et de la voix. Ça ramène à l’anthropologie ? — En tout cas, commençons par les ruines. — (Elle écrit aussi : « J’écris, mais je ne sais pas écrire. »)

Le problème des images avec Google Earth ou Google Maps, plus particulièrement celles du mode street view : ce sont d’une certaine façon des images par défaut puisque je ne pouvais pas me retrouver sur les lieux pour prendre moi-même une photo. Si elles ont un petit intérêt illustratif dans le cadre d’une édition en ligne (comme si la lecture avait besoin d’un échauffement préalable de l’œil), en ont-elles un pour une édition papier ?

Pour qu’une image passe du visible au lisible, que faut-il revoir en elle ? Que faudrait-il donner à voir de plus qu’elle ?

Le point de vue anthropologique, c’est bien sûr, aussi, une image. Comment peut-on véritablement l’adopter, ou l’adapter, quand il s’applique aussi à soi-même, aux textes pouvant être conçus comme les récits, les légendes (des mythes ?), qu’on se raconte à Sauveterre ?

Nastassja Martin, interrogée par Blandine Rinkel, décrit ainsi son métier d’anthropologue : « ce que je cherche à faire, c’est ouvrir des possibles. D’autres relations au monde. Décrire ces possibles, montrer qu’ils existent. »

En commençant, simplement, par changer la combinaison des textes. Le premier texte dégageant l’horizon le plus large ? (par superposition du monde et du vide ?)

Et pour en finir où ? au cœur de Sauveterre ? mais c’est quoi ça ? le plus éloigné dans le temps, quand on découvrait Sauveterre ? ou le plus contemporain, le plus actuel, le « jour d’aujourd’hui » insignifiant ? ou, question espace, le plus souterrain ? ou le plus près des étoiles ? ou bien, question écriture, au plus près de tout ce qu’elle signifier ? (du monde comme du vide ?)

Est-ce que je pourrais dire, comme le jeune avocat : « Je connais la rue des Vignes, elle est fort déserte, mais il s’y trouve des yeux comme partout. »

Figure 93 – Le marché couvert inauguré en 1889 – Nicole Bertin Infos, « Les maires de Jonzac jusqu’à la Seconde Guerre mondiale » (publié le 06/03/2014) – copie d’écran 25/10/2022

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

2 commentaires à propos de “#40 jours #40 | Dans l’œil de Sauveterre”

  1. Oh Will ! Quelle pure dose d’énergie en intraveineuse ! Merci d’être repassé par mon versant, d’avoir relevé ce gant depuis des mois, depuis plus d’un an à présent. Il m’est si cher ce compagnonnage qu’il faut tout le temps inventer dans les tempêtes du Tiers Livre et celles qui nous traversent. La lave du Pouvoir de la Parole, tu l’as prise à pleine pleines mains. Ça brûle mais déjà tu la sculpte ! J’ai presque une question par entrée… Je n’ai toujours pas écrit cette #40, mais impossible à présent de la faire autrement qu’en miroir. Pour l’heure, je vais rejoindre Maldi, purée !

  2. Le prolongement anthropologique, c’est une sacrée piste : aucune idée de par où la prendre. L’organisation des textes de mon côté m’amène de plus en plus simplement à trouver une place pour les tiens : en les prenant justement dans une des couches mythologiques du dernier récit, celui où l’on essaie de comprendre d’où sont sortis les Principes des Corps-songeant. Mais plus le temps passe plus je me dis qu’ils sont sortis principalement de la province, d’une certaine qualité d’ennui propre au XXe siècle. Un fort lien géo-générationnel.