#photofictions #02 | en décousu

© Lisa Diez, Paris, 2016

Autoportrait en pieds.
Présenter au jury le résultat d’un an de captures quotidiennes de pieds sur le vif avec un boitier manuel. Developper parfois les photos chez cette fille brune qui a disparu. Revoir sa main faire rouler une petite cuve de développement sur la moquette. Coller les photos sur les pages d’un cahier d’écolier. La peinture s’approche. Transformer les Ménines en une famille de pieds royaux.
Retrouver ces cahiers au fond des boites sous mon lit. Prendre les photos en photo |  Retrouver ces mêmes pieds vingt ans plus tard: ils auraient dansé sur le revêtement plastique d’un sol de studio. Le vernis géranium aurait été entamé par les frottements. Il y aurait du noir sur leur plante. |  Et retrouver ce pied crucifié sur une toile qui m’a demandé d’arrêter la peinture.

Plus le proche est proche, plus il échappe, non?

Confinée.
La soie d’Alger traversait en crissant les trous minuscules déjà percés par l’aiguille sur les pages d’un livre. Taches d’encre jouaient avec les titres des œuvres privés de leur reproduction. Addiction à la répétition : croire qu’on ne sera plus jamais capable d’arrêter de passer le fil passer le fil passer le fil.
Il y aurait eu la lumière du matin sur les boules de fils de soie rouges, bleus, dorés, sur le carrelage blanc moucheté, la lumière sur d’autres boules près du cendrier plein, sur les ciseaux, l’ordinateur, l’enceinte, la chaise roulante encore chaude

Longtemps, les touristes.
Les mains et les visages, les yeux, ce qu’ils regardaient, et en creux ce qu’ils ne regardaient pas, ce qu’ils auraient pu regarder par erreur, par accident.
Aujourd’hui, il y aurait plus d’indulgence dans les photos, moins d’ironie, moins de références à Martin Parr.

Associations insensées.
Dans les poubelles, bouts d’ongles, filets de terre collante, une peau d’avocat, gras de jambon, pot de yaourt entamé dont le contenu coule un peu sur une semelles tachée de sauce tomate. Une jambe en plastique dépasse, pied flex, de l’amas | Les jouets du clown mis en scène |  Le tas d’images découpées gardées des années durant pour en faire quelque chose.

Élan toujours.
Pour les murs et les portes, pour les sols, pour les lignes dessinées ou creusées, pour le sable, les grains, pour les gros plans de peaux de rochers, d’arbres, d’hommes. Pour la parure veloutée des fleurs. Pour la pâte onctueuse formée par toute poudre associée à l’eau.

Ne seront jamais prises.
Les images traversés en rêves; la côte bleutée, le désert jaune, les ponts monumentaux, les requins dans la piscine, le tsunami dans l’avion, la frise chronologique vivante, la sphinge a mille dents

Le désir de prendre parfois me suffit.

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, le documentaire, la photo… Et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif À la Source) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).

2 commentaires à propos de “#photofictions #02 | en décousu”

  1. Bonjour Lisa
    Merci beaucoup pour ce beau texte. Les photos évoquées s’affichent dans le mental. Questions intéressantes, aussi !