#photofictions #01 | Rapides (augmentés une fois)

Vue de la Seine depuis le chemin de halage près de Mesnil sous Jumièges
  1. Une image d’autonaute en observation de la voie rapide à 120 km/h.
  2. Une image de cycliste en observation du chemin à 12 km/h.

Cosmoroutes : développées en rhizome dans l’espace et dans la tête

Une image saboulée par un fond médiocre où persiste une bande glaiseuse.

Saboulée : de la mer remuée par la houle qui atteint la plage troublée par le sable.



Il manque aux images les crampons par lesquels le lierre, tout comme les mots dans la phrase, s’agrippe à son support.


Une image saboulée par une couleur à peine identifiable. Qu’est-ce important de dire à son sujet ?

Par exemple, je me suis installée avec mon carnet sur une aire d’autoroute située un peu avant Poitiers en venant de Paris. Il s’agissait d’une aire de pique-nique. Elle offre des toilettes et un bois pour l’ombre. C’est là que j’ai commencé mon texte.

J’ai en tête une image non photographiée que j’ai retenue par une observation active du paysage, comme on dit d’une écoute active. Deux plans réunis par un horizon plat : un champ de blé moissonné de la Beauce ouvert sur le ciel ombrageux, bleuté et grisé. Un  nuage filaire s’étend en couche cotonneuse dans le ciel puis se joint à quelques orbes rondouillardes (un type de nuages sur lesquels les anges semblent assis sans les altérer d’aucune sorte dans la peinture classique).

J’ai retenu une autre vue cette fois-ci à trois bandes depuis la table de pique-nique sur l’aire d’autoroute : le ciel en grisé uniforme, une frange arborée, le talus pierreux de la voie ferrée. Après le TGV Ouigo passé en pleine vitesse sur le rail, en bas du talus les véhicules passent à moindre vitesse – on voit seulement les carrosseries filer, le revêtement n’est pas visible.


Retour aux photos réelles (1 et 2) passées dans l’objectif du téléphone portable. Ce ne sont pas de grandes évasions si ce n’est – pour mon image de la Seine, d’y être allée à vélo au départ de Vernon-Giverny (environ 150 kilomètres en suivant le fleuve). Nous sommes près du Mesnil-sous-Jumièges, sur un chemin de halage (ils sont peu nombreux de Paris au Havre). Me rendre ici à vélo me donne l’impression d’avoir rampé dans une pièce pour la traverser.


Je suis allée la chercher en « rampant » par la marche, le déplacement à vélo.. Mon image est devenue l’image-qui-manque, avec la force de son pouvoir d’obstruction. Elle trace l’empreinte d’un appel de volume et d’espace. 

Je reviens au texte. Au texte qui cramponne la phrase de précisions géographiques avec la fluidité d’un mouvement de caméra. J’ai retenu ce passage d’une « marine » de Julien Gracq. Marine / Lettrines : entre les deux, il suffit de faire paysage comme une substance prend la consistance recherchée (un mélangue huilo-aqueux qui émulsionne, un mélange ferreux qui refroidit en épousant la forme du moule, une condensation qui retombe en nuage de pluie…).

J’ai rencontré le mot « saboulé » dans cet extrait. « La mer, saboulée et secouée sur ses fonds médiocres ». C’est un mot extraordinaire pour l’image, sa dynamique. Un mot lisière. Presque une métaphore de l’écriture.

 (la mer) « rêche, encore furieuse, hérissée de vagues courtes qui la guillochent comme une peinture au couteau, chaque vague beurrée à sa crête d’un rebordé d’écume crémeuse ». Cette phrase m’intimide en raison de son effet pictural. Elle me rend un peu furieuse moi aussi, furieuse en raison de sa force qui me tient à mon rivage familier, m’embarque tout en me laissant démunie. Aurais-je aimé voir, sentir, cette mer, ou écrire cette phrase ?

« Un fort coup de vent d’ouest a bousculé le beau temps ces jours-ci, et la mer, saboulée et secouée sur ses fonds médiocres, presque jusqu’à l’horizon, où persiste une mince bande glauque, est devenue glaiseuse, couleur des flaques qui comblent les fouilles des marnières. Sous un rayon de soleil qui brille ce matin quelques minutes entre deux grains, un jaune argileux la souille tout entière. Rêche, encore furieuse, hérissée de vagues courtes qui la guillochent comme une peinture au couteau, chaque vague beurrée à sa crête d’un rebordé d’écume crémeuse qui semble la bavure d’un excédent de matière, elle paraît moins frôlée par l’aile des vents que plutôt sculptée rudement, en pleine pâte, par le pouce, la lame et le râcloir. »

Extrait de Marines in Lettrines 2, Julien Gracq (texte support proposé pour l’atelier #01 des photofictions.. En parallèle les marines du photographe Hiroshi Sugimoto.sont présentées.)

Clein d’oeil au livre « Les autonautes de la cosmoroute » un voyage Paris-Marseille réalisé en van par Julio Cortazar et Carol Dunlop en séjournant sur les aires d’autoroute.

A propos de Nolwenn Euzen

blog le carnet des ateliers amatrice de randonnée (pédestre et cycliste) et d'écriture, j'ai proposé des séjours d'écriture croisant la marche et l'écriture, et des ateliers deux livres papiers et un au format numérique "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue revues La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune...

3 commentaires à propos de “#photofictions #01 | Rapides (augmentés une fois)”

  1. Très riches et intéressants cheminements dans l’écriture et dans l’image, et grand merci pour la rencontre avec le mot « saboulé » !