impossible pèlerinage non seulement par jouissance retirée mais seront démolies ces pièces qui t’ont accueillie autant que tu les as accueillies comme un corps aimé puis moins aimé puis quitté;
casse des cloisons avant remembrement effacement des circulations entre les pièces destituées réaffectées pour d’autres vies que les vôtres d’autres usages d’autres voix;
opérations programmées sur le corps de l’appartement qui fut aimé puis aimé moins coups de masse poussière plâtre gravas tu imagines les destructions derniers outrages à la mémoire;
un degré de plus dans l’abandon du combat contre la saleté l’usure le délaissement tu l’abandonnes comme un enfant confié à une autre mère qui s’en occupera mieux;
blanc gris liserés clairs moulures rafistolées au sol traces des cheminées condamnées rectangle de marbre joints grossiers cachés par ta bibliothèque quand tu la bouges les moulures tombent coulures de colle jaunâtres;
à l’est tu sais où conduisent les rues école supermarché bois métro hypothèse plausible d’une destination pour chaque passant vu par la fenêtre heure où le bus tourne vers le nord heure des éboueurs rideau de fer tiré sur la vitrine de l’épicier basculement du soleil par-dessus le toit;
viscères rapport viscéral ventre dormir repliée entre ses murs insomnies craquements du parquet mouvements des voisins ronron du frigo rai d’éclairage électrique au-dessus du rideau suivre des yeux les moulures dans la pénombre tout autour du plafond recommencer recommencer;
lumière glissant d’est en ouest reflets ombres flaques de soleil sur le vieux parquet rayon caressant les photos dans leurs cadre les premières années un cerisier palpitait au carreau fruits oiseaux ramiers feuilles mouvantes claquements d’ailes arbre scié forme poisseuse de la souche vue d’en haut puis rien;
chambre d’enfant devenue atelier malpropre odorant pinceau essuyé sur le mur l’armoire à la renverse cercueil vide à évacuer en morceaux chambre parfaitement blanche de celui qui lit;
à l’ouest immeuble neuf école nouvelle rideau de béton le panorama t’a été enlevé avec le grand cèdre abattu à la pelleteuse quand la vue change ce n’est plus le même appartement;
disparition à notifier dans la liste des lieux qui n’existent plus que dans tes souvenirs ruinés quelques clichés de famille vidéo périssables ne montrent rien de ce qui fut ici aimé moins aimé puis mort.
Pèlerinage impossible. Se perdre dans les souvenirs ne fait pas marche de pèlerin.
Merci Juliette pour ce beau texte un peu triste.