#40jours #35 | vertige

Pablo regardait avec amour les trous qu’on faisait dans le bitume. Il se penchait au bord des précipices, admirait toute la machinerie mise en place pour détruire ce qui avait été construit. Il se délectait des entrailles de la ville, rentrait en adoration au son grinçant des scies sauteuses et des marteaux piqueurs. Il attendait avec impatience le jour où ce serait sa rue qu’on éventrerait. Il pensait y découvrir des vies secrètes ou cachées, une vérité où puiser le sens de son existence.

Il aimait qu’on éventre des bouts de rue, qu’on ouvre des sillons de chair. La circulation était déviée, on organisait des pancartes pour guider les passants loin de l’opération, des barrières pour cacher ce qui se passait là. On travaillait à fleur de peau, on ouvrait les chairs, on perçait les calosités, on cassait les murs, on creusait des trous. On éventrait des tuyaux, on ajoutait des couches de sable, on démolissait pour construire à nouveau.

Chaque trou dans la chaussé éventrée est un trou dans mon corps. Chaque pelletée, un triturage de mon esprit. Je suis à l’image de ma ville en perpétuels travaux. Je suis éventrée, foulée du pied, rejetée. On me crache dessus, on m’insulte, on me remanie inlassablement. On creuse dans mes entrailles, mais on ne peut me saisir, je penche à droite, puis m’enfuis à gauche. Je me cache par lassitude du monde tel qu’il est, par ennui de participer au grand bruit de l’époque. L’homme a le vide en horreur, il n’a de cesse de le remplir.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

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