#40jours #35 | Dans notre atelier on peint continuellement

Peindre un trait


Dans notre atelier de peinture on peint continuellement à partir des idées que nous propose le professeur. Hier, vendredi, l’idée du jour était de peindre entre les pensées. Nous nous sommes donnés rendez-vous vers 9h30 et nous avons peint jusqu’à 17h00. Il s’agit en premier lieu, de bien comprendre l’idée proposée, ce qui n’est jamais aussi simple qu’on pourrait le penser. Ainsi le matin nous nous sommes concentrés sur le trait, au crayon, puis à l’encre de Chine. C’est assez rebutant de commencer une journée de peinture en dessinant ou peignant des traits. A première vue, rien d’exceptionnel à dessiner ou peindre un trait. On se dit que tout le monde sait le faire, on se dit tout un tas de choses justement sitôt qu’on nous demande de faire une chose aussi puérile, enfantine, que de dessiner ou peindre un trait. Mais l’important, ce qu’il conviendra de bien retenir n’est peut-être pas le geste en lui-même, mais toutes ces pensées qui naissent comme des réflexes aussitôt qu’on est prié d’effectuer un tel geste. Que dit notre professeur, il faut le noter, car presque aussitôt cette parole énoncée, aussitôt que chacune des cervelles absorbe cette parole , semble se modifier, elle s’enfonce en chacun de nous, au début doucement, imperceptiblement, pour se métamorphoser bizarrement, créant une sorte d’écart sur le papier, à la fois entre nous et part rapport à son origine. on le voit nettement, et après réflexion, il semble que ce soit une constante naturelle qui revienne à chaque fois que le groupe se réforme, ici dans l’atelier.

On pourrait comparer un trait à bien des choses, ou bien, sitôt que le mot trait sera prononcé il serait convenable pour ne pas perdre notre idée, de lister toutes les pensées qui surgissent immédiatement quand on prononce ce mot. On pourrait se demander où commence et finit un tel trait sur l’espace du papier, est-ce un trait isolé en plein milieu de l’espace ? Est-ce un trait qui traverse bord à bord l’espace de la feuille et dont l’origine comme la fin nous échapperont. Le début et la fin d’un trait. D’ailleurs pour revenir au trait isolé sur la surface blanche sommes nous certains que l’origine et la fin ne continuent pas derrière la feuille comme s’il s’agissait de la partie visible d’un fil de couturière lorsqu’elle coud un ourlet par exemple. A ce moment on pourrait imaginer les deux brins se prolongeant derrière la feuille de papier, traversant la nappe, le bois de la table de travail, puis continuant au travers la dalle de béton, et plus profondément encore sans qu’on ne puisse imaginer vraiment de fin. On peut lister facilement à condition bien sur de vouloir se donner la peine toutes ces questions qui ne nous viennent, non pas spontanément,mais juste parce que le professeur, par un mot ou deux, nous conduit ainsi à nous questionner. Quel est le debut, la fin d’un trait comme s’il se parlait a haute voix…Ou encore on peut réduire encore plus le champs de la question en écoutant une autre formulation. Comment commencer à dessiner un trait. Est-ce ce qu’on part d’un geste net du point de contact du crayon avec la feuille dans une direction pour que le trait soit comme une fuite éperdue, une fuite hors du point. Ou bien ne vaut-il pas mieux d’être circonspect, voire d’effectuer un imperceptible mouvement vers l’arrière du point de contact avant de sentir dans la main, le poignet, l’épaule, le corps tout entier une volonté de mouvement qui entraînera le trait à suivre -en toute autonomie, on peut aussi le penser, son petit bonhomme de chemin. Si on s’interroge avant d’effectuer ce tout premier trait sur sa nature de trait, conviendrait il qu’il soit de la même intensité sur toute la continuité de son parcours ou au contraire ne pourrait on pas imaginer qu’il puisse procurer une sensation de sensibilité, qui le transformerait ainsi à notre image, en être vivant. Ne peut-on imaginer qu’il en aille des traits comme de toutes choses. Qu’ils puissent être des être vivants ou morts.
On comprend assez vite ainsi qu’il y a un véritable travail à effectuer sur soi-même avant même de s’emparer d’une feuille, d’un crayon, et dessiner un trait. Il faut faire le tour de la question.Observer surtout ce que déclenche une phrase aussi simple en apparence. Dessiner un trait. Certains parmi nous pensent tout de suite comprendre ce qu’il faut faire et ils dessinent un trait comme ils ont toujours eut l’habitude de dessiner un trait. Facile se disent ils. Puis ils relèvent la tête et sont étonnés d’être seul à avoir terminé alors que nous n’avons pas commencé, parce que nous pressentons que si le professeur nous demande de faire un trait ce ne sera, cela ne pourra être jamais aussi simple qu’on l’imagine. Nous commençons à connaître la musique depuis le temps que nous venons peindre ici.
Les nouveaux venus tombent systématiquement dans le panneau. Ils prennent la consigne à la lettre, on leur demande de dessiner un trait , ils dessinent ce trait puis relèvent la tête en disant c’est donc tout, c’est juste ça… régulièrement nous en voyons se lever, ranger leur matériel puis s’excuser. Désolé je crois que ce cours, ce stage ne me convient pas, quand ils daignent toutefois se confondre un peu en excuses car nous en avons aussi vu qui, sans un mot, prennent la porte, on ne les revoit jamais. Comment pourrait-on leur en vouloir, car même si le professeur est bienveillant, qu’ il plaisante, qu’il crée souvent des digressions, entraînant ainsi notre attention sur tel ou tel point qui ne semble avoir aucun lien avec l’exercice en cours, nous savons désormais rester vigilants, derrière l’apparence débonnaire, décontractée de son enseignement il y a un plan. Un plan qui d’ailleurs s’effectue en dehors de sa volonté de professeur, avec le temps nous avons finit par comprendre qu’il improvise son plan à chaque instant. Une idée nait, qui en crée plusieurs autres, toute une arborescence se mettant ainsi en place selon la durée du cours ou du stage. On pourrait facilement imaginer cet atelier de peinture comme une ville en construction perpetuelle…Cela aussi peut effrayer quand on y pense.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

2 commentaires à propos de “#40jours #35 | Dans notre atelier on peint continuellement”

  1. C’est très facile Patrick, en tout domaine, de piéger des novices, mais pour les vieux briscards ça peut se compliquer. « Le supposé savoir » du maître de cérémonie est un attribut pas un sceptre, le sachant , tout « élève » ( au sens agricole du terme ) est tenu à une certaine vigilance quant aux engrais qu’on lui fournit. Ta démonstration est éloquente
    « Est-ce ce qu’on part d’un geste net du point de contact du crayon avec la feuille dans une direction pour que le trait soit comme une fuite éperdue, une fuite hors du point. Ou bien ne vaut-il pas mieux d’être circonspect, voire d’effectuer un imperceptible mouvement vers l’arrière du point de contact avant de sentir dans la main, le poignet, l’épaule, le corps tout entier une volonté de mouvement qui entraînera le trait à suivre -en toute autonomie  » voilà l’astuce qui ne vaut que pour celui ou celle qui la pratique. La consigne n’est ni plus ni moins qu’un point de départ sans point de mire.Alors on part, ou on reste là où on est pour méditer peut-être. Beaucoup pensé à Fabienne VERDIER et à SHITAO en t’écoutant. « L’unique trait de pinceau » dans son traité (Citrouille amère…). La peintre coréenne BANG HAI JA est de cette école aussi.

  2. Où l’on imagine aussi l’élève qui dessine non un trait mais un point et s’exclame « fastoche! », laissant l’assemblée interdite avant de prendre la porte.