Seule. Une semaine déjà de vacances d’été, et la chaleur qui commence à s’intensifier sous ce troisième étage. Au-dessus, un grenier et le toit. Seule, emprisonnée d’ennui, de silence, de ce vide qui ronge l’esprit. Elle a déjà lu trois fois un Club des Cinq qu’elle va finir par connaître par cœur. Fait trois ou quatre pages d’un cahier de vacances pas très enthousiasmant. Joué au jeu des petits chevaux en ayant toutes les couleurs, et en animant les pions à tour de rôle. Sa couleur préférée est le rouge, et elle s’arrange pour gagner à chaque fois. Son petit placard rempli de ses jouets est déjà rangé, enfin à sa manière, sûr que sa mère y trouverait à redire, mais elle, ça lui convient comme ça. Elle tourne en rond. Il fait bien trop chaud pour sortir en ce début d’après midi et puis sa mère est concentrée sur la machine à coudre à réaliser une robe, son frère plongé dans un roman dont il n’est pas question de le déloger. Il y a longtemps qu’elle n’est pas montée au grenier. Il suffirait d’ouvrir la porte sans bruit, de toute façon le bruit de la machine à coudre couvrirait le grincement de la porte d’entrée. Elle connaît la cachette de la clé de la porte qui donne accès au grenier. Là haut il y a plein de coins qu’elle n’a pas vraiment explorés. Il y a ses jouets de bébé aussi et cela lui ferait plaisir de les revoir, des magazines, des caisses que l’ancien occupant de la pièce, qu’ils avaient maintenant récupérée pour en faire une grande salle à manger, avait laissé et que personne n’avait réclamées. On disait de cet homme que c’était un anarchiste, un homme pas très clair, louche, mais elle ne savait pas trop ce que cela signifiait. Elle pensait juste qu’il devait y avoir des secrets dans ses malles. En partance pour l’aventure se dit-elle… Sans bruit, elle tourne la poignée de la porte, subtilise la clé derrière un meuble bas dans le couloir, ouvre la porte et grimpe sans faire grincer les marches jusqu’au grenier. Passionnée par ses lectures du Club des Cinq, elle connaît parfaitement les astuces pour ne pas se faire repérer. Arrivée en haut, il faut s’habituer à la semi-obscurité et surtout à la chaleur encore plus soutenue que dans l’appartement. Peu à peu ses yeux se glissent entre les caisses, cartons, vieux sacs à demi éventrés. Contre un des murs, il y a des étagères où sont entreposées des boîtes en carton. Elle reste prudente et cherche à ne pas faire de bruit, car elle n’arrive pas bien à situer où elle se trouve par rapport à sa mère en dessous. Elle furète, retrouve une vieille poupée qui a bien vécu, et à qui il manque un bras, puis son piano miniature sorti des ateliers de Manufrance qu’elle avait eu en cadeau de Noël et qui avait un son légèrement faux, des revues que sa mère affectionnait Le Petit écho de la mode entassées dans un sac en jute, un carton avec des livres poussiéreux et dont les titres ne lui donnent nulle envie de se plonger dedans. Une fois habitué à cette pénombre, le regard se fait plus incisif, et se pose sur les étagères où se distinguent des flacons en verre dont elle voudrait bien se saisir. Ils sont un peu en hauteur. Il y a beaucoup de poussière, de ce poussier bien connu ici à Saint-Etienne, qui recouvre les, murs des maisons d’une noirceur caractéristique des villes minières. Elle sent d’ailleurs que cela lui monte dans les narines, et elle se souvient bien que la dernière fois qu’elle était montée là avec son père, elle avait mouché noir, et que le dessous de ses ongles était noirci également. Elle éternue deux ou trois fois. S’approche ensuite de ces étagères à flacons qui l’intriguent et tente d’en attraper un. Il y a quelque chose d’écrit sur l’étiquette qu’elle a du mal à déchiffrer, et lorsqu’elle y parvient, elle ne comprend pas ce que cela signifie, peut-être manque-t-il des lettres : nitroglycé… Sa main s’approche, se tient tout près d’un des flacons lorsque l’appel de sa mère suffisamment vif, laisse le geste en suspens.