J’avais une vingtaine d’années, tout au plus et vivait encore chez mes parents dans une bourgade proche de Hoorn. Marla, ma petite copine vivait dans un quartier proche du mien, mais déjà périphérique, isolé, à la lisière de la ville. Je lui rendais souvent visite avec son accord, ce n’était qu’à quelques kilomètres de voiture. Un soir, en rentrant du pub, après ma journée de travail, je m’arrêtais chez elle sans y être attendu. Je garais ma voiture devant la maison, à l’endroit habituel, claquait la porte avant de m’engager sur le chemin qui menait à la bicoque. Je m’attendais à trouver Marla et sa mère en train de dîner devant une émission de télévision, comme à leur habitude. Mais aucune lumière ne filtrait du dehors, j’entrais alors dans l’obscurité du jardin, avançant vers la petite maison simple et bien entretenue, qu’un jardin touffu entourait. Les deux femmes y vivaient seules et joignaient les deux bouts courageusement. La récente perte de la tante de Marla les avait toutes deux grandement ébranlées. Je ne l’avais pas connue, mais j’avais longtemps écouté leurs histoires et admiré son portrait qui trônait sur la cheminée.
Mes pas crissaient sur le gravier quand je rejoignais la porte d’entrée vitrée. Je frappais même si je ne voyais ni lumière ni aucun signe de vie dans le salon. Le chat vint me saluer en se frottant à mes jambes, avant de disparaitre sans un bruit vers le fond du jardin. Je longeais les murs crépis afin de frapper aux volets de la chambre de mon amie. J’attendais quelques instants, espérant que quelqu’un répondrait, mais n’obtenais aucun résultat. Je ne sais pas pourquoi, mais je décidais alors de faire le tour de la maison et frappais à toutes les fenêtres. Je ne sais plus quelle urgence me poussait ce soir-là. Peut-être souhaitais-je simplement ne pas rentrer chez moi ? Je fis donc le tour de la maison, frappant aux carreaux de chaque fenêtre sans le moindre succès. Arrivé au dernier l’angle de la maison, je me rendais à l’évidence, il n’y avait personne et je ferais mieux de rentrer chez moi. C’est au moment de tourner à l’angle que j’entendis le frémissement des feuilles dans les arbres. Le vent s’était soudainement levé et avait créé un affolement dans la masse touffue et ténébreuse du chêne au-dessus de ma tête. Je crus à une présence. Un frisson parcourut mon échine. Mes jambes continuaient d’avancer, accélérant même le rythme de ma marche, j’avais soudain la folle envie de déguerpir.
Je ressentais un malaise, peut-être n’avais-je pas à être là en leur absence et j’avais la légère impression qu’on était en train de me le reprocher. Je baissais la tête et me précipitais vers le petit portail rouillé quand je butais contre un souffle. Je vis une silhouette faiblement dessinée me croiser pendant ma marche accélérée. Je ne m’arrêtais pas, au contraire, je m’étais mis à courir et arrivais sans souffle devant ma voiture. Le cœur battant, j’essayais d’ouvrir la portière les mains tremblantes. Je rentrais chez moi bouleversé. Tout s’était passé si vite que je peinais à pouvoir décrire ce que j’avais vu : une femme, c’était certain. De ma taille ou à peine plus petite, se déplaçant avec la fluidité du vent. Son corps qui ne semblait pas de chair, était à peine visible, sans forme ni couleur. Elle se dirigeait vers le fond du jardin, alors que je courais pour sortir de son enceinte.
Les jours suivants, je n’appelais pas Marla, ni ne répondais à ses appels. Je la voyais à l’université quelques jours plus tard. Elle était étonnée de mon comportement pour le moins étrange. Muré dans le silence, j’éprouvais une grande appréhension à lui parler. Je ressentais de la honte, j’avais vu quelque chose alors que je n’aurais pas dû. Enfin, devant tant d’insistance de sa part, je racontais à Marla ma rencontre dans le jardin. Sa réaction toute naturelle, me décontenança au plus haut point, elle haussa les épaules et affirma :
– Tu as rencontré ma tante, voilà tout.
Je bredouillais :
– Ta tante ? Celle du portrait sur la cheminée ? Non, elle ne lui ressemblait pas argumentais-je, me faisant peu à peu à l’idée d’avoir croisé un spectre. Je ne me souviens pas de son visage, mais la personne que j’ai croisé avait les cheveux bouclés, comme toi.
– Ma tante s’était fait lissé les cheveux ce jour-là, c’est pour ça qu’on a pris cette photo. Elle avait les cheveux très bouclés, exactement comme moi.