Il avait lu une publicité dans le journal. Pour recevoir le catalogue comme pour commander, afin de faciliter nos clients… et pour éviter tout risque de fausse direction à leurs correspondances, nous avons adopté comme seule adresse postale et télégraphique:
Il a écrit ça sur l’enveloppe, avec à l’intérieur. Le catalogue est arrivé quelques jours plus tard. C’était la première fois qu’il recevait « son » catalogue, à « son » adresse de garçon. Dans le catalogue, il y a six étiquettes à coller sur les enveloppes, dentelées et encollées comme des timbres, MANUFRANCE Saint-Etienne (Loire) sous une première étiquette « Pour nous écrire servez vous des étiquettes adresses. Voir mode d’emploi ci-contre ». Il n’a pas lu le mode d’emploi. Il a vu qu’il y avait des villes où Manufrace avait des maisons de vente. Il s’est mis à rêver d’une boutique où l’on pourrait visiter le catalogue, soupeser un marteau, tester le ressort d’un piège à rats, souffler dans un appeau, passer la main sur le velours d’une veste ou le cuir d’un brodequin. Il s’est mis à rêver aussi de voyages. Aller à Clermont ou à Valence, ça pourrait se faire, à l’occasion d’une foire, peut-être même aller à Lyon. Mais Paris, Bordeaux, Marseille, Lille, Nantes, Nice, Toulouse, Rouen, Nancy, Troyes… C’était l’autre bout de la France. Il ne savait pas qu’il verrait toutes ces villes un jour. Pour l’heure, il avait le catalogue sous les yeux et le feuilletait, page à page. Il y en avait 588 qui se terminaient par une pub en troisième de couverture, Le Chasseur français. 4 millions de lecteur. Abonnement 400F. par an. Il a lu la présentation en pages deux et trois: Ce qu’est Manufrance. Il l’avait déjà lu, et relu, depuis enfant. Il regardait à nouveau, la vue général des bâtiments du Cour Fauriel et de la rue Lassaigne, le bâtiment des ateliers mécaniques, les ateliers pour le travail du bois. Il a lu ensuite, comme on lit un roman, notre ligne de conduite, nos principes, tout chez nous est de première qualité, nos services commerciaux et techniques, nos ateliers, ventes au comptant, ventes à crédit (3mois, 6 mois, 9 mois, 12 mois), conditions d’expédition pour la Corse, la France d’Outre-Mer et pour les pays étrangers, reprise ou échange de marchandise, réparations, réclamations… Il avait l’impression de savoir tout ce qu’il fallait faire pour acheter ce dont il avait besoin. Il savait ce qu’il allait acheter mais il attendait avant d’aller dans les pages. En page treize, le catalogue commence, par thèmes. Le premier, Armes de chasse et de tir. Il ferme le catalogue.
Il arrache une feuille du bloc note. Et se met à lister:
Liste des choses dont j’ai besoin Liste des choses dont j’ai envie.
Il continue à rêver. Et si je gagne à la loterie, et si je suis augmenté, et si je passe monteur… Il sait ce qu’il va acheter en premier. Il a l’argent. Il retient encore le moment, le catalogue est un roman. Il s’y fiance, il équipe une maison, l’éclairage, la cuisinière, choisit la machine à coudre et même un tourne-disques pour le salon, un poste récepteur à 32500 F. Il rêve encore plus loin. Il choisit un landeau.
Quand il a fini de voyager il revient au catalogue, page 278, « Porte-plume réservoir ». Il a envie d’un stylo. Il a toujours aimé les stylos. Il écrit peu mais quand il écrit il y met tout son corps, tout son coeur et bien avant d’écrire les mots lui viennent déjà en sortant le stylo de son écrin, en remplissant le réservoir, en le tenant en l’air. Il y a de « très beaux modèles ». Ils sont chers. Il hésite. Il travaillera un peu plus, il fera des heures aux abattoirs. Il choisit un Waterman avec un sytème à pulser transparent permettant de contrôler le niveau d’encre. Il commande aussi un flacon d’encre bleue noire de 12cl. Il tourne la page, la suivante encore. Page 282, il choisit un carnet de notes, non deux, très forte couverture moleskine noire lavable et assurant une grande protection, le format 170×105, 200 pages. Ce qu’il faut tout de même pour écrire des mots.
Moi aussi je fais du Nous deux avec des correspondances un peu comme les vôtres. Mais ça viendra après et il y a plus de déchets que chez vous. Chez vous c’est bien beau
Merci Elvire.
C’est bien gentil 🙂
Ah Manufrance ! C’était « LE » magasin par correspondance le plus coté dans l’imaginaire local. Me turlupine cette expression « faciliter les clients » , du coup je pense « faciliter la venue des clients » ( attrape-couillons ? ) ou alors, je rajoute quelque chose « faciliter la vie, le confort, le choix, le crédit… du client « . « LE » client, individualisation subtile de la relation commerciale avec « LE » client qu’il faut statisfaire. Satisfait ou remboursé. La classe et le profit assuré ! Mais Manufrance a péréclité…
« faciliter nos clients » j’adore.
Se perdre dans un catalogue… quelle joie !
Merci Philippe pour avoir ranimé ce souvenir !