Il en a bu combien? Depuis le temps qu’il est là, ça en fait déjà quelques uns. Et avant d’arriver, il en a bu combien et où? D’ailleurs il habite où? Dans quelle rue, dans quel immeuble? Et la femme qui est avec lui, c’est qui? Elle ne boit pas. Elle lui parle. Elle lui parle aimablement. Elle lui dit quoi? Elle ne cherche pas à le faire boire. Elle ne cherche pas à le séduire. Que cherche-t-elle? Peut-être qu’elle ne cherche rien. Il l’écoute. Il semble l’écouter. L’écoute-t-il, avec son regard perdu dans la salle devant lui, à ne regarder rien? Il roule une cigarette. Va-t-il se lever? Écouter encore? La blague à tabac est ouverte, devant lui. C’est quoi comme tabac? Il l’a acheté où? Il fume depuis quand? La moustache est jaune, l’ongle de l’index et du majeur aussi. Il a quel âge? Il a l’air jeune. Il boit, qu’est-ce qu’il boit! Et il écoute toujours. Il a deux verres devant lui. L’un est presque fini, l’autre est plein. C’est lui qui a commandé le second? Qui le lui a payé? Il a l’air si seul en lui. Pourquoi lui parle-t-elle? Pourquoi, surtout, lui parle-t-elle comme ça? Il se connaissent, c’est sûr, mais qui est-elle pour lui? Ni sa femme, ni sa soeur, ni sa mère, mais qui alors? Il a rangé la cigarette et sort une pipe. Il la bourre. Va-t-il sortir? Va-t-il fumer? L’attend-on ce soir? Il est déjà tard. Elle est arrivée avec lui? Ou bien elle était déjà là? Pourquoi ne boit-elle pas? Elle est calme. Il a l’air perdu. Est-il triste? A qui pense-t-il? Et que fait-il dans la vie, à part boire, le soir, dans les bars? A quoi pense-t-il? Quelles sont les chansons qui lui passent dans la tête? Va-t-il encore boire? Et chez lui, y a-t-il encore de quoi boire? Reste-t-il pour l’écouter ou pour boire? Comment s’appelle-t-il? Elle prononce un prénom. Elle commence souvent ses phrases par ce prénom, son prénom à lui. Elle lui parle comme une femme qu’elle n’a pas l’air d’être. Va-t-elle poser sa main sur son épaule? Elle n’est pas loin de l’épaule sa main, posée sur le haut de la banquette. Il suffirait de quoi, cinq centimètres pour qu’elle se pose sur son épaule? Elle le regarde quand elle lui parle, quand elle prononce son prénom. Pourquoi ne la regarde-t-il pas? Pourquoi cet abattement dans tout le corps. Il est assis, là mais semble s’enfoncer entre la table et la banquette tout en gardant les épaules droites. Comment peut-il sembler si fort, si dur au mal, les muscles aussi durcis par le travail et si mou, comme privé d’os? De quoi lui parle-t-elle? Il met sa pipe bourrée dans sa poche. Pourquoi a-t-il gardé son chapeau? Va-t-il pouvoir se lever? Va-t-il pouvoir marcher? Va-t-il rentrer? Va-t-il la saluer? Va-t-il lui parler? Où va-t-il aller? Où ira-t-elle ensuite? Va-t-elle passer ses mains sur la poitrine quand il sera sorti? Va-t-elle pleurer? Sera-t-il toujours là demain? S’aimera-t-il un peu? Se pendra-t-il enfin?
J’aime la confusion entre les pronoms… en plein dedans en plus, mon épouse vient de raccompagner sa mère. Alzheimer stade avancé. Des questions qui s’enchaînent comme dans ce texte, les siennes, les nôtres …
brève de comptoir jusqu’au drame. peut etre. Que ces textes de questions sont engageants.