Du belvédère, la vue est plongeante sur le cours de la Durance, rétrécie, resserrée entre la falaise d’un côté, le village de l’autre plus haut. Un lieu neutre, terne, tonalités de vert déclinées à l’infini, dans l’eau, dans les prés, les arbres. Le barrage EDF construit au début de 20ème siècle se dresse en son milieu, murs de béton, bief de dérivation, conduite forcée vers la centrale électrique de L’Argentière. Glauque, morne, la rivière est à son niveau le plus bas en ce début d’été caniculaire.
Rien à voir avec sa force, sa rage, en mai 2018, alimentée par la neige des sommets, la fonte des glaciers, les pluies, Durance était en crue printanière. C’est elle qui a emporté Blessing Matthews en cette nuit sombre où elle s’enfuyait, redoutant d’être interpellée par les forces de police et renvoyée en Italie. Je tente de retrouver les traces de ce drame. Non, rien. J’imagine ce petit matin où elle a été retrouvée, noyée, plaquée par la force du courant sur les murs de béton du barrage. Sa vie s’est arrêtée à 21 ans, loin de son Nigeria natal, victime de la folie des flots, de la violence de notre système.
Je me souviens : les articles dans la presse locale, l’incompréhension, l’effroi, la colère devant la militarisation de la frontière des Hautes-Alpes et les contrôles fixes dressés pour arrêter les personnes exilées et les personnes solidaires qui les aidaient — coupables du délit d’hospitalité ! –, l’action de Tous migrants, les manifs, les procès, le non-lieu définitif en février 2021. Blessing est la première personne exilée décédée ( reconnue ) dans le Briançonnais, après une course-poursuite des gendarmes qui l’a mise en danger, elle a chuté dans la Durance. Et là, d’elle, aucune trace, le vide, le néant. L’oubli ?
Non, quatre ans après, Tous Migrants demande la réouverture de l’instruction « pour déterminer de manière définitive les événements ayant mené à la mort de Blessing et d’établir les responsabilités ». Quatre ans après le drame, il est urgent, selon l’association, que la justice française réponde enfin à la demande de vérité et justice de la famille de Blessing et Tous Migrants de citer la sœur de la victime : » Ma sœur continuera de hurler et hurler, tant que justice ne sera pas faite ».
L’oubli, non. Dans le cimetière de Prelles, sa tombe est toujours fleurie. Que notre terre qui ne sut pas l’accueillir lui soit légère, que sa mort ne soit pas vaine, que la justice soit.
Quand les traces tardent à apparaître…
Merci Christiane pour ton texte très touchant !
Le personnage de Durance dans le second paragraphe comme un piste provisoire, une suspecte puis elle redevient rivière au troisième, on comprend que la vérité est ailleurs … habile !