– Atchiiiiiiiiiiiiii !
Après plusieurs tentatives avortées et ô combien frustrantes – réprimer un éternuement est aussi peu gratifiant qu’une éjaculation bloquée net par une vision d’horreur (au choix : apercevoir sa mère en petite culotte ouvrant la porte au moment paroxystique) –, l’éternuement en question éclate, bondit, retentit, explose, tonne, tempête, hurle et transperce le mur d’un jet sonore libérateur. Les voisins, trop occupés à faire l’amour, justement, n’entendent pas la démonstration buccale. Autre chose les intéresse et pour cause : c’est une affaire de partage et d’application. Le garçon a invité sa copine, les parents sont absents, c’est la première fois pour tous les deux et une musique rock tonitruante, du heavy metal, a été répandue dans toute la pièce pour couvrir les gémissements de plaisir. Enfin, la fille simule en ce moment, mais elle simule bien, et entre chaque morceau, quelques secondes de silence absolu, oh trois fois rien, suffisent pourtant à les trahir : un grognement bien viril ponctué de ahanements féminins (ou peut-être est-ce l’inverse, difficile à dire dans ce magma sonore invraisemblable) prolongent le vrombissement de la guitare et des infrabasses, qui va jusqu’à assaillir le chat dans la pièce voisine. Ses poils se hérissent, il se fait les griffes sur le fauteuil, totalement cambré – on pourrait croire à un effet-miroir de la position actuelle d’un des humains mais le félin n’en a cure, il aimerait les déchiqueter, à l’heure qu’il est, et plutôt que de toucher à son humain homme, il décharge sa frustration sur un coussin, qui penche dangereusement vers la gauche et heurte un vase, qui vacille puis tombe et se fend en mille morceaux, tel un fracas de tonnerre… alors qu’un tonnerre d’applaudissements retentit depuis la télé, collée justement au mur mitoyen, et le tube cathodique grésille à mesure qu’on essaie de rentrer dedans, de plonger dans l’image ; les pixels piquent un moment aux yeux car la pénombre règne dans la pièce puis on distingue la lumière trop lumineuse, les couleurs trop colorées, le maquillage des candidats, trop maquillés, et leurs sourires trop souriants, une affaire de mots à deviner mêlée aux réflexions un peu grivoises du présentateur – mais comment peut-il associer jeu de l’esprit et blagues salaces, ça laisse pantois les retraités, qui tentent de se concentrer sur leur émission télévisée préférée, et ils montent le son pour couvrir celui des ébats amoureux (ah ces jeunes dégoûtants, on vous entend, aucun respect franchement), et surtout cette musique, cette horreur plutôt, ce son infernal qui donne envie de vol, de viol, de meurtre, d’attentat terroriste, qui « viens près de moi, ma douce », peut-elle lire dans son livre d’amour, un Bildungsroman pour midinettes ; elle sait que c’est une horreur aux yeux du programme littéraire de son unif mais elle s’en fout ; elle a besoin d’une pause dans toute cette pile de bouquins indigestes qui l’attendent, elle a déjà accumulé du retard, quelques heures en plus n’y changeront rien, elle lit dans son bain et sa peau diaphane se distingue par instants malgré la mousse, une peau sèche granuleuse, d’allergique, et les pigments ne sont pas bons, exposés ainsi trop longtemps à l’eau, ses doigts sont en comporte, et la panade aux pommes du bébé atterrit mollement sur son menton, ça fait blob et ça le fait rire, on peut l’apercevoir si on change de pièce : pauvre père démuni qui aimerait dormir enfin quelques heures et ne comprend pas pourquoi il a la charge de cette chose écumante et puante, file file, petit humain qui tel un papillon obèse en couches culottes se dérobe et court entre les pattes de l’adulte, gloussant de bonheur, et au secours au secours court le père vers sa fille dans son bain, mais elle exige qu’on la laisse tranquille, donc il envoie un SMS désespéré à sa femme, tout en découvrant un rideau de la fenêtre la plus proche, pour tenter de distinguer l’autre côté de la rue, « je n’en peux plus, traverse et reviens stp », car sa femme justement n’en peut plus non plus, comble de la chance, elle a trouvé un emploi de nuit, baby-sitteuse, quelle ironie, alors qu’au même moment son propre enfant l’attend, pas le temps de chercher du regard le regard de son mari incapable, en face, elle doit changer un lange ou mourir sur place pour être libérée délivrée, et c’est de libération dont il s’agit ensuite si l’on décide de laisser tranquille le lecteur, d’arrêter ici ce rapide travelling cinéma digne d’un Evil Dead sans acide ; aucune menace démoniaque ici, seulement les petits tracas du quotidien en une banale soirée de juillet, dans une banlieue de la capitale.