L’heure a chassé le dernier métro. Je ne sais plus qui de nous deux descend sur les rails en premier mais l’autre le suit sans broncher. Le chemin s’enfonce doucement sous le théâtre et la nuit disparait derrière nous. On s’étonne de voir le champ si libre. On ne trébuche pas comme on le voudrait, le tunnel sent le propre comme le salon des parents, on se dit que tout est comme ça à ici, propre calme chiant, on s’imagine que Paris est différent, que Paris grouille et vit, on ne sait pas encore que New-York transpire autre chose encore, que Moscou hurle bouche ouverte, ses bouches de l’enfer qu’on connaitra plus tard, ses milliards de marches pour atteindre une station et chasser l’hiver. Les trains apparaissent quand ils le veulent bien à Union Square, ouvrent leurs portes branlantes dans un bruit de caisse à outils avant de repartir dans des boyaux toujours plus étroits. Ici pas de pneumatiques fatigués, par de crasse ni odeur d’égout ou de pisse, pas d’histoires qui font peur – celle du pousseur de la ligne 4, il agit à l’heure de pointe, il tue au hasard – pas d’affichage qui déconne, pas de silhouettes momifiées dans leurs sacs de couchages. Rien de tout ça ici, tout est calme comme dans un centre commercial la nuit, sans le vigile, sans le chien, on tente bien de prendre le pouls de la ville mais il n’est pas là. On nage dans une eau sans remous, une eau de piscine, la municipale qui n’est pas très loin. On pourrait rejoindre sa fosse sous-marine qui est au même niveau, par une simple porte de service. Il y a quelques anneaux lestés au fond du bassin, un mannequin que les plongeurs ont oublié de venir sauver. On est si profond que la lumière blafarde des néons là-haut ont du mal à nous attraper. Au fond il y a une trappe, incrustée dans le carrelage blanc, une trappe que les gamins du club n’ont jamais vu ouverte et qui -personne ne dira le contraire ici – vous emmène plus profond encore, dans des eaux inconnues et tourmentées. Aucun d’eux n’a essayé de l’ouvrir, de peur que les immondices de cette ville trop propre remontent, disent-ils, mais c’est peut-être par peur d’être déçu, de découvrir qu’il n’y a rien d’effrayant là-dessous, comme il n’y a rien d’effrayant ici dans ce tunnel, ni nulle part au-dessus. À sa station, Ben est remonté sur le quai comme s’il descendait d’une rame et m’a salué de loin. Il me restait quelques quais à passer avant le terminus. Le jour m’y attendait. Les cloches au loin sonnait mon arrivée. Il était tôt mais elles chantaient déjà un air que plus tard je regretterai.
Curieux, on attend la suite.