Je suis un projectile, une flèche, je fonce tout droit vers ma cible, une seule idée en tête, rien ne peut m’arrêter. Marcher d’un pas rapide dans la rue, sans prêter attention à tout ce qui m’entoure, ceux que je croise, je ne les regarde pas, il faut faire vite, il pourrait me distraire, j’entends le martèlement de mes pas, je trace son chemin sans me soucier des autres, ceux qui m’empêcheraient d’avancer, de progresser à la même vitesse, ce qui ralentit ma marche, les murs des immeubles qui se dressent devant moi, leurs portes, fermées, les grilles closes, il faudrait les enfoncer, les escalader au risque de me blesser, pas peur, même pas mal, passer outre, j’accélère l’allure, pare au plus pressé, le moindre écho me paraît effrayant, me freine, je dois en faire abstraction, les oublier, ne pas les considérer, ce ne sont que des obstacles qu’il faut contourner, moyen d’accélérer mon avancée, en m’appuyant dessus, à force de rebonds, j’accélère mes pas, la rue s’élargit. Je ne sais pas comment continuer, mais je poursuis, cette avancée c’est comme découper, déchirer l’espace, fendre l’air, la porte s’ouvre, un couloir se profile dans l’obscurité et tout au bout, à peine un filet de lumière, mais je pousse loin plus loin encore, rien ne peut me contrarier, me faire capituler, la paroi me résiste un court instant avant de finir par céder. Je passe de l’autre côté de l’immeuble. Un parc s’ouvre devant moi. L’espace se dégage jusqu’au ciel. Les barreaux verts du jardin m’obligent à les dépasser, je traverse le square d’un pas soutenu, les regards de biais, à chaque tournant, j’essaie de ne pas les voir, à chaque œillade, rester concentré. Place à traverser, ne jamais savoir dans quel sens, mon instinct n’existe plus depuis longtemps. Bousculade, inévitable, qui dérange, fait perdre un temps fou, qui remet sur le chemin. Je traverse la place au pas de course, remonte l’avenue. La nuit tombe. Avance vite. Je ne respire pas comme asphyxié. Je trace. Je saute. Mon corps fléchit pour me hisser plus haut, passer par-dessus le muret qui me barre le chemin. Bruit tout autour. Chien qui aboie ? Ivrogne qui éructe ? Enfant qui pleure ? Je ne sais pas. Je n’entends plus rien avec précision. Tout se mêle, confus. Saccade des bras. Respiration entrecoupée. Peine. Voitures. Vélos en tous sens. Tout s’accélère. Pas qui claquent. Voix trop fortes. Sans-gêne généralisé. L’odeur de vase. Pont où je ne peux pas traîner. J’évite les passants qui m’empêchent d’avancer aussi vite que je le voudrais, qui me ralentissent, presque malgré eux, je fais des petits sauts réguliers, des pas de côté, des écarts incessants. J’évite de justesse le gars qui décharge la marchandise de son camion frigorifique. Le regard flou de sueur. Je cours, le long de la voie, ralentis, m’arrête, reprends mon allure, accélère encore, saute par-dessus les bandes blanches, les plates bandes. Lumière. Lumière partout. Je reprends la marche, rien ne peut m’arrêter, je sens le vent sur mes joues, mes cheveux, c’est bon, ça va, c’est bon, ça pousse. Des ailes. Je continue d’avancer. Voiture qui fonce sur la voie des bus. Vent. Marcher sous le pont, éviter les flaques. Odeur. Tournant. Ne pas tourner. Ne pas perdre de temps. Avancer en ligne droite n’est plus possible. Trop. Nous sommes trop nombreux. Je m’arrête. En chemin.
Ca va vite, ça file, une trajectoire fulgurante 🙂
Merci beaucoup Rebecca, j’aurais aimé qu’il y ait encore plus d’obstacles à franchir pour coller vraiment à la vidéo de Zbigniew Rybczynski que j’aime beaucoup, que j’ai d’ailleurs utilisé dans un de mes ateliers d’écriture, mais c’était un peu compliqué.
Une flèche qui file, en frôlant le fantastique… Merci Philippe pour ton texte éclair !
Merci Philippe, ce fantastique j’aurais bien aimé le creuser un peu plus, je ne fais que le frôler, mais c’est aussi le principe de ces ateliers, on se donne une heure pour tenter de tester une direction d’écriture, il faut ensuite y revenir si l’on sent poindre quelque chose, qui affleure même si on n’a fait que l’effleurer.
j’ai emprunté tes pas dès le début dans cette rue où tout a commencé, et puis je ne m’y étais pas préparée mais il a bien fallu presser le pas et même me mettre à courir pour suivre l’histoire
accélération très réussie
je suis à bout de souffle et contente qu’il y ait trop de monde dans ces parages pour continuer tout droit
bravo pour la fulgurante avancée à travers la foule…
Merci beaucoup Françoise, plus j’écris plus j’ai l’impression que ce sont ces scènes qui m’exaltent vraiment, le travail du temps où tout va très vite au point de mélanger ce qui s’y passe et s’y ressent, laisser cet ensemble disparates de sensations, d’images, de sons s’entremêler et se confondre, et son contraire, ce moment où tout se ralentit à l’extrême, dans l’attente exagéré, le suspens du temps. Entre les deux, j’avoue je m’ennuie un peu.