J’écris depuis quelques années. Je continue par habitude, par jeu, je pourrais dire par nécessité, mais je crois que ce serait exagéré, j’écris aussi parce que je m’en donne le droit. Et un droit, cela s’acquiert, pour celui-ci, il m’a fallu trouver un décor et un costume. Le logement dans lequel nous étions installés était vraiment petit, alors j’ai loué un appartement au cœur de La Rochelle, pour pouvoir travailler dans des conditions convenables. Cet appartement était tout près du marché central. Au coin de la rue où il était situé, il y avait un petit restaurant, et après en allant vers le marché des cafés, des commerces de bouche puis le marché couvert. J’ai installé un bureau dans une chambre. J’ai installé des bibliothèques, rangé mes livres. Je savais que j’aurais des moments d’attente, je me suis fixé comme règle, de mettre à profit ces moments pour écrire. J’avais le projet d’écrire un roman policier. Je me suis donc retrouvé certains matins à écrire tôt, la ville était encore éclairée de lumières électriques. Je regardais par la fenêtre en buvant un café les gens quittant leur logement pour aller travailler, étudier. J’avais cette impression étrange de profiter d’une chose luxueuse et rare. J’étais un braconnier, je pouvais ici voler du temps. Je m’étais fixé des objectifs, si je produisais entre cinq cents et mille mots par jour, j’avais accompli mon devoir. Je m’octroyais quelques poses, j’achetais le journal, je m’installais à une table et je buvais un café. Les gens autour de moi étaient devenus des acteurs jouant des scènes de la vie ordinaire, ma perception des choses et des gens était différente, je regardais une scène et je prenais ou pas un élément, un personnage, une situation, un mot, je faisais mon marché. J’étais le croisement sympathique d’une hyène et d’un vautour, je dépeçais la vie qui se jouait autour de moi. Attention, je regardais avec bienveillance le spectacle, je ne me moquais pas, mais j’enregistrais, l’ordinaire et l’extraordinaire. J’ai eu très vite envie d’une autre sacoche pour transporter mon ordinateur portable. J’avais la sacoche en nylon noir que fournissait le fabricant, mais elle faisait trop laborieuse, trop « travailleur », trop moi-même, pas assez artiste. Je me suis donc offert une sacoche en cuir, une sacoche « d’écrivain ». Le matin quand je descendais la rue pour aller à mon bureau, la sacoche en bandoulière, j’étais un peu un autre grâce à cet accessoire. Le midi, je traversais le marché couvert pour aller me promener vers la place de Verdun et je prenais au passage tout ce que je pouvais. J’étais un personnage dans un décor et en même temps j’étais une caméra et un micro (équipés d’une mémoire sélective et limitée) et j’étais aussi, celui qui une fois revenue à son bureau, triait ce qu’il lui semblait utile de sauver des vies, des gens aperçus. Je repasse quelquefois devant mon ancien bureau, je regrette un peu ce lieu, ce temps-là. Maintenant, j’écris n’importe où, mais de temps en temps je vais faire le plein de vie et de gens et j’appelle le fils de la hyène et du vautour. J’ai toujours cette sacoche, elle est toujours aussi belle, elle m’a aidé à écrire. Je la regarde avec tendresse, comme je regarde les traces du temps passé.
Laurent, se donner un lieu pour écrire en ville… je crois que je n’y serai jamais arrivé.
Je t’envie un peu… mais je crois que ça ne m’aurait pas correspondu au fond.
J’ai bien aimé ton texte !
Je ne me suis pas encore penchée sur la 16 mais j’ai trouvé très belle cette bulle de l’écrivain hors du temps et hors des lieux.
Pour écrire, il faut d’abord y croire et tout faire pour y arriver et c’est exactement ce que tu décris dans ce texte qui prouve que tu avais tout à fait raison. C’est une leçon pour moi, qui parfois ne me prends pas trop au jeu.