#40jours #07 | un trou

Je descends dans le métro par l’escalier gris sombre, les traces rondes et plus claires des chewing-gums aplatis sont toujours à la même place, je descends sans croiser un cafard ni même un humain, ça c’est plus étrange, les humains cachés comme les cafards, ça résonne étrangement d’ailleurs, je descends descends descends et c’est ensuite un couloir, le bitume brillant lisse et noir du métro, en descente, le tapis roulant m’accélère les affiches plus ou moins immobiles sur les côtés, la sensation d’un travelling maintes fois répété, et puis c’est comme un fleuve près de sa chute, le grand escalator qui plonge vers le quai bien plus bas, toujours vertigineux mais aujourd’hui encore un peu plus que d’habitude, on dirait que la pente a été légèrement augmentée, peut-être la chaleur, dans mon ventre quelque chose se contracte un peu, un organe ou un intrus qui sursaute, la solitude ou l’immensité des voies souterraines, toujours personne sur le quai je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite, sur le quai il y a un trou avec une trappe ouverte et à côté une pancarte avec une flèche indiquant la descente, je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite sur le quai parce que je suis descendue dans le trou, le présent est resté derrière moi et je suis descendue, descendue, descendue, dans le conduit une odeur jamais sentie encore, une odeur bleue et une lueur très faible en bas, qui s’étoffait à mesure de la descente, une série de petites lucioles bleues remontaient le long de mes jambes, je n’y ai pas vraiment pris garde jusqu’à ce que ce soient des espèces de vers lumineux collés sur mes cuisses, j’ai pensé exactement comme des sangsues et la sensation était la même mais je n’ai pas eu peur, je n’ai pas crié d’ailleurs tout son avait disparu, j’aurais bien pu crier ça n’aurait pas eu plus d’effet que dans l’espace interstellaire, il restait pourtant la gravité, le mouvement de la descente, les barreaux froids sous mes mains et mes pieds, la lumière en bas et l’absence de bruit, l’absence même du souffle qui vous signifie que vous entendez, c’était un silence étouffé, un vide intersidéral, j’ai continué à descendre puisque la lumière augmentait en bas et une fois arrivée j’ai posé mes deux pieds sur une surface molle, les sangsues avaient grossi et recouvraient presque entièrement mes cuisses, elles en prenaient la forme, mon corps devenait peu à peu bleu fluorescent et la lumière est revenue tout à fait, dissimulant pour un temps ma fluorescence, je fais un pas puis deux sur la surface molle, je suis Gare du Nord sur l’esplanade mais il n’y a rien d’autre que du blanc à perte de non-vue et mes yeux ne savent plus où, quoi regarder, la ville entière a été absorbée par le grand trou blanc sans bord de mes pensées et moi aussi.

A propos de Juliette Cortese

Née en Franche-Comté à la fin des années soixante-dix, Juliette Cortese vit à Montpellier et travaille dans la langue. Celle qu’on parle autour des tables. Celle qu’on écrit en atelier. Et dans la sienne, à tâtons, au burin, parfois avec un épluche-légume. Écrit ce qui vient et ce qui ne vient pas, lit à voix haute et bricole des vidéopoèmes. Publications en 2021 : X Tentatives pour continuer le présent, prose poétique chez Gros Textes et un premier roman, Lent séisme, chez Publie.net.