Est-ce que les Pays-Bas utilisent le nom de leurs auteurs pour toponymes ? Je connais des rues nommées après des fleurs, des peintres, des architectes, des hommes politiques. Mais qu’en est-il de la littérature ? Me voilà enquêtant dans le pays où je vis depuis longtemps, mais dont j’ignore jusqu’à la langue. Me voilà en quête de des traces du seul auteur qui ne m’ait jamais atteint : Cees Nootenboom.
J’introduis son nom dans Google Earth et ne trouve aucune occurrence. Je pense à ajouter –straat pour rue, –kade pour quai et –plein pour place. Secouer bien fort, fermer les yeux et jeter les dés. C’est gagné, il y a trois fois Notenboom aux Pays-Bas.
Premier indice : Notenboomstraat, 6685 AK Haalderen
La première est une vraie cible, on dirait que j’ai visé juste : d’en haut, on voit deux cercles concentriques formant sans doute un rond-point. Il n’y a plus qu’à tirer.
Je n’ai jamais entendu le nom de la ville, je ne saurais même pas le prononcer correctement. Google m’apprend que c’est à une centaine de kilomètres de chez moi, si je pars maintenant, je marcherai 21h pour l’atteindre. Ma cible est au cœur d’une rue en forme de T, des pavillons à toits gris la bordent et puis un grand terrain vague qui m’intrigue.
Rien de vague, ici, c’est un terrain de basket envahi par une fine couche de neige. En s’approchant, on a changé de climat, aux arbres verts et au gazon ont succédés le froid et le givre. Les arbres dénudés, apparaissent tels des squelettes sombres dans le ciel gris. Des maisons de briques rouges, du grillage, il n’y a pas âme qui vive dans les rues d’Haalderen. C’est comme si on entendait le grincement métallique des paniers dans le vent glacé. J’ai toujours été trouillarde, je déguerpis en vitesse.
Je contourne la cible avant de partir. Entre les toits enneigés, les voitures saupoudrées et les routes dégagées, je trouve une murette à la forme étonnante : l’entrée apparait comme un charmant tunnel. On pourrait imaginer une entrée secrète vers un autre pays, un autre univers.
Deuxième tentative : Notenboomstraat, Schelluinen
Une autre Notenboomstraat se trouve à Schelluinen, à proximité de Rotterdam. Quand je regarde la route depuis chez moi, Google m’informe que »le trajet inclut une traversée en ferry ». Intriguée, je cherche la partie nautique, et découvre qu’il faut traverser le Lek. J’aimerais bien voir le bateau, je n’arrive qu’à apercevoir un amas métallique jaune et loin. Le village en bord de Lek est charmant, typiquement typique, je m’attarde dans les petites rues, je flâne. Google street view offre deux versions de la même rue, sur celle de 2014, une camionnette blanche est garée, deux cyclistes discutent au fond. Dans la version de 2016, une petite fille blonde, habillée de blanc joue avec une poussette sur le trottoir. Une vraie poussette est à l’ombre de la même camionnette, les poignées encombrées de deux lourds sacs plastiques. Qu’en est-il de cet enfant aujourd’hui ? Vit-elle toujours cette petite maison au bord du Lek pendant que j’écris ? Je ne vois pas pourquoi la camionnette serait garée ailleurs, c’est ma seule certitude. Mais la petite fille, porte-t-elle toujours des robes banches dans la chaleur de l’été ? Ou porte-t-elle de l’eye-liner et des ceintures à clous en rêvant de s’échapper de ce coin paumé ?
Je me suis perdue, je dois continuer mon chemin pour parvenir à Schelluinen. De loin, on dirait un hameau paisible, une bourgade aux toits orange qui semble sortir de l’immensité verte : oui, c’est sûr, il y a quelque chose de singulier et de caché par là.
A mesure que je m’approche, ma déception augmente et je ne crois pas me tromper en m’avouant rapidement vaincue : c’est raté, on est dans une impasse. Ça a plus l’air d’un cabinet médical – avec son parking attenant où sont sagement alignés les véhicules des visiteurs – qu’une entrée en littérature.
Les toits pointus des maisons me font penser à des lutins à chapeau pointus qui ricanent à mon passage. Et seul le petit chemin ouvert sur la campagne me donne une aspiration poétique. Celle de me barrer d’ici.
Dernière chance : Notenboomplein, 1971 HC IJmuiden
Dernier tentative : tous mes espoirs sont réunis, c’est une place, au gazon un peu pelé au milieu de plusieurs parkings. J’apprécie tout de suite ses formes géométriques qui se dessinent. Les bâtiments autour forment des traits qui s’échappent, qui prennent la tangente.
Cela pourrait être un puzzle, les innombrables pièces de ce pays, comme toutes les identités qui la composent. Il parait que plus de 160 langues sont parlées dans ma ville et vous vous étonnez que je ne parle pas néerlandais ?
Reprenons et concentrons-nous : quelques voitures garées le long du parc, une piste cyclable de chaque côté de la route, un abris-bus vide, des lampadaires éteints- il fait jour. Sur la place, personne: deux bancs vides, différentes espèces d’arbres. D’un côté, des grands édifices blancs, de l’autre les éternels pavillons en brique rouge. Et puis au tournant, je repère la barraque à frites, indice indispensable de toutes les places néerlandaises. S’y vendent du poisson fris avec de multiples sauces, des boissons fraîches mais rien qui ressemble à l’écrivain néerlandais. Loin de moi l’idée de confonde l’illustre écrivain avec un hareng, un autre emblème du pays, mais une tout autre histoire.
En écrivant et réécrivant le nom de Cees Nooteboom, j’entends quelque chose que je n’avais pas vu de prime abord : il y a -boom (l’arbre) et -nooten (les noix). Je dois me rendre à l’évidence, j’ai commis une grave erreur, j’ai cherché aux Pays-Bas, les toponymes de noyer: la place, la rue du noyer. Encore un coup bas de cette langue qui me cherche et qui m’échappe. Je me perds, je la trouve, je me trompe, je suis perdue dans la traduction, je divague et je me laisse porter par cette vague. Peu m’importe finalement, ce qui compte, c’est le voyage.
Et que penser d’un peuple qui écrit des vers sur les camions poubelles ? D’un pays qui nomme un poète officiel à chaque ville ?
Ils ont raison, pas besoin de chercher la littérature à la loupe, elle est dans chaque geste, chaque parole et dans le silence aussi. Elle est dans l’eau des rivières, dans les arbres et les toits oranges, dans le vent qui caresse la neige, elle est partout où je pose mon oeil.
Plaisir de vous suivre dans cette promenade de giration toponymique ! « Rien de vague, ici, c’est un terrain de basket envahi par une fine couche de neige. », une confrontation imaginaire / réel qui m’a bien plue.
Votre alternance texte-image m’a intéressée.
Merci !
Merci Nolwen, au plaisir de se croiser dans nos textes.