Le tee-shirt est foutu. L’ouverture du col est lâche, en émergent son cou, ses cheveux en bataille. En bas, on l’a déchiré pour faire passer les tuyaux de la perfusion. Il est tâché de sang et de traces jaunâtres. Allongé sur un lit de fer aux draps blancs également salis, il dort, le visage paisible, la respiration régulière. On m’a remis ses lunettes, je les ai dans ma main. Les deux cercles aux fines branches dorées pèsent à peine. On a peu parlé cette semaine et nous voilà, à des milliers de kilomètres des nôtres, dans la chambre d’hôpital d’une ville inconnue, expédiés là par le plus grand des hasards, la mort. Chambre n’est pas le mot, c’est plutôt une salle commune après les urgences. Elle est immense et solennelle, le moindre mot provoque un écho qui rebondit entre les murs. Des voûtes comme dans un couvent, dehors un patio entouré d’arcades abritant des palmiers maigrichons. Murmures et regards fatigués. Les lits entrent et sortent en roulant: une femme allongée, un homme courant à ses côtés; des vieux gémissants, des accidentés aux blessures bandées.
le tangage du train, le réveil en sursaut, s’habiller en trébuchant (c’est toi qui y vas, ça va aller) l’interminable grincement du frein et le gyrophare dans la nuit (il suo nome?) les infirmiers penchés sur lui, les machines sont branchées (avisare l’ospedale) la sirène hurle, l’ambulance dévale la plaine, avale les virages (non risponde) les portes claquent, le métal du lit contre les murs de l’hôpital (nessuna reazione) les blouses blanches courent, accrochées à son lit (rimani qui)
Un somptueux bâtiment à galeries, presque un luxe pour un hôpital et si proche du port, à vol d’oiseau, qu’on entend les mouettes. Les paquebots attendent à quai et la mer, grande étendue grise et statique, à peine hérissée par les flots. Plus loin, de l’autre côté, les cimes blanches des montagnes et déjà une autre mer: Paris où on l’attend. Il faut jeter le tee-shirt avant de le ramener.
Bonjour Irène,
vos passages ( encore discrets) entre les langues renforcent l’effet de focale, j’aime ça, j’espère que vous garderez cette piste, bonne suite !
Merci de votre remarque, Catherine, je la garde sous la main parce que c’est en effet quelque chose qui me travaille régulièrement.