vers un écrire/film/#05 |rouge
dialogue #1 | ça commence toujours par
il s'agit peut-être bien d'un chantier comme on dit - j'élabore; l'apparition des deux jeunes gens m'a surpris - tant mieux - peut-être est-ce tendance à s'éloigner du centre de la narration, plutôt documentaire
il faudrait relire ce qui a été écrit il y a deux ans (80 épisodes des quatre vingt jours de réclusion du début du printemps de l’année 2020) – il faudrait – se souvenir de l’état d’esprit qui prévalait alors (rien à foutre pourtant de ces pensées ces fantasmes ces errements difficiles entre maladie printemps âges solitude précarité changements professionnels – rien à foutre pourtant – se souvenir de l’état d’esprit, les arbres qui poussent et les voitures qui cessent de rouler – les avions au sol cette catastrophe intergalactique et les autorisations de déplacement à auto-remplir et auto-signer – ces saloperies – le même jour ou presque, mais bien des années avant ils l’enlevaient – je me souviens (je me souviens aussi) que le premier samedi des gilets jaunes (acte 1 : 17 novembre 2018) fut suivi d’un dimanche et d’un lundi au cours duquel des policiers (japonais) ont fait irruption dans le jet privé de Carlos Guyancourt et l’ont flanqué en prison – il s’est réfugié (réfugié…) au Liban nous dit-on après une cavale qui lui a coûté un million de dollars (ses collaborateurs ont été pris, mis en prison et jugés mais pas lui, car le monde est bien fait pour ceux qui le gouvernent ou alors on les pendra par les pieds) – le minuscule petit télégraphiste cintré de bleu s’entretient au téléphone avec l’ordure des heures durant afin de ne pas l’humilier – bienvenue sur Terre – le virus circule bien, les vaccins sont produits sauf pour les pauvres et la crème survivra – il y a un type (il ne dispose cependant que de huit orifices, comme nous tous) qui a donné un chiffre pour prénom à sa progéniture mâle et quarante quatre milliards pour quelque chose d’autre –
ce qu’on reprocherait bien à ce genre de personnage, c’est de nous donner des envies de meurtre à leur égard –
je crois que c’était ce genre d’envie qui les animait eux, ceux qui enlevèrent au président d’abord la liberté, et ensuite la vie (il faut que tu te renseignes encore, tu as des trucs à lire, des évolutions à décrire, des formes à maîtriser, il faut que tu t’y mettes) – je suis toujours (sur) le même chemin, et à la fin du livre d’Anna Laura a été portée une chronologie due à Andrea Colombo (journaliste d’investigation, (il est de 54) qui faisait partie dans ces années-là du groupe (fondé en 1967) Potere Operaio (« Pouvoir Ouvrier » en frenchy) – extrême gauche comme on dit), chronologie qui indique des faits qu’on a complètement oubliés (tu ne les as même jamais connus- certainement) (pourquoi les rappeler ? pour ne pas laisser les choses se reproduire ? quel leurre, quelle goule, quelle chimère poursuis-tu (poursuis-je) donc ?)
il ne faudrait jamais rien lâcher
– le jour des funérailles des cinq membres de l’escorte (18 mars 1978), à Milan, le centre social Leoncavallo a été l’objet d’une attaque (la guerre civile n’était pas si éloignée) laquelle attaque a laissé morts deux jeune gens, Fausto Tinelli et Lorenzo « Iaio » Janucci, mis à mort donc sans que jamais quiconque, ou presque, ne soit poursuivi pour ces meurtres
– huit jours plus tard, le 24 mars à Turin, l’ex-premier adjoint au maire, Giovanni Picco, démocrate chrétien, a été blessé par balles par les Brigades rouges
– le 11 avril, à Turin, un commando (ils sont deux, Nadia Ponti et Cristoforo Piancone, suivi d’un troisième Vincenzo Acella) abat Lorenzo Cotugno, gardien de prison – lui tirent dans les jambes (mode opératoire standard – gambizzazione) blessé il se retourne les voit s’en aller, leur tire dessus aussi – (pourquoi lui ?) Vincenzo arrivant le tue (il a eu le temps, avant de mourir (mourir, oui), de blesser gravement son agresseur (mais cette agression, d’où lui venait-elle sinon de ses propres exactions ?) Cristoforo Piancone donc (ouvrier de la Fiat) déposé devant l’hôpital par ses camarades et arrêté là
– le 20 avril, abattu, Francesco De Cataldo adjoint au commandant en chef des gardiens de la prison de SanVittore (Milan)
– le 25 avril (fête nationale) et le 26 Girolamo Mechelli démocrate chrétien, président de la région Lazio (Rome) blessé (aux jambes); et le 27 Sergio Palmieri (capetto (petit chef) chez Fiat (chef du bureau d’analyse du travail au service des relations syndicales de Mirafiori), blessé à Turin
– le 4 mai à Milan, Alberto Degli Innocenti,médecin de la Sit-Siemens, blessé; et à Gênes, cadre d’Italsider (sidérurgie), Alfredo Lamberti
Les acteurs (et les actrices) des actions recensées en italiques ont tou.tes été arrêté.es et condamné.es à des peines d’emprisonnement de plusieurs dizaines d’années – Fausto Tinelli et Lorenzo « Iaio » Janucci sont morts, personne (?) ne sait de la main de qui (on s’en doute seulement)
c’est que cette chronologie ne s’intéresse qu’aux faits imputables et vérifiés, dus à cette mouvance-là
En l’espace de quarante sept jours (du dix-huit mars au quatre mai) (est-ce que quarante quatre jours sont un espace ?) une dizaine d’actions, d’attentats (parfois, on trouve le mot « routine » dans les actions perpétrées par le groupe) violents, blessant et tuant, pour rappeler au monde entier que le groupe agit un peu comme il veut – la police cherche, les ministres se réunissent, c’est un marché de dupes, c’est à celui qui en fera le moins possible pour retrouver où l’otage est retenu (est-il seulement encore en vie ? a-t-il perdu la tête ? est-il devenu fou de demander ainsi qu’on échange contre sa pauvre vie celle de prisonniers ?) entre le ministre de l’intérieur (Cossiga) et le premier ministre (Andreotti) tout aussi impliqués dans le déni l’un que l’autre même si l’amitié (ou le respect, l’honneur, la loyauté) était plus probante du côté du premier que du deuxième – dans cette position, un État ne peut (sans doute) pas transiger, pris qu’il est dans la répression de ces agissements – même si, du côté du ministère de l’intérieur (la police donc) le « cabinet » est mené par des hommes (il n’y a pas de femmes dans ces instances) dont l’appartenance à l’extrême droite n’est pas douteuse (beaucoup d’entre eux font partie de cette loge (illégale, clandestine, noire) Propaganda due dite P2); même si du côté du premier ministre cette appartenance n’est pas plus ambiguë; même si du côté du parti communiste, on reste intraitable sur l’intransigeance à afficher face aux revendications reçues au travers des communiqués
le texte ci-dessus tente de saisir la consigne - dans l'ensemble, et depuis toujours (il me semble) la consigne me parle sans que je l'appréhende complètement (il arrive que les choses entre parenthèses prennent une ampleur telle qu'elles dépassent en longueur ce qui est écrit dans le texte - si "écrit dans le texte" veut dire quelque chose de différent) je dévie souvent - tente de maintenir la présence de l'histoire racontée, à travers quelque chose comme une liste de noms, de fonctions, d'opérations - il se place aussi dans le cours d'un travail disons plus ample (qui nécessite encore ici une espèce de mise en place ou au point afin de créer quelque chose comme une unité) mais n'évite pas l'écueil du contemporain (il s'agit d'un va-et-vient entre le moment présent et celui qui est (disons) raconté) le dialogue est envisagé dans une forme un peu déplacée : regarder les actes commis par l'un des camps tout en sachant que, dans la cache derrière la bibliothèque,durant ces cinquante cinq jours, il est là (je ne sais si c'est le héros - c'est tout de même autour de lui que tout tourne - sauf cette histoire (milanaise) qui a surgi dans la rédaction, celle de Fausto et Iaio). Le président écrit des lettres (une bonne centaine) et d'autres textes qui demeureront sinon inédits tout au moins cachés (dont l'un intitulé "mémorial") - l'irruption des autres villes italiennes, Turin et Gênes, d'autres unités de production (de travail), d'autres personnages tous pris dans des rets invisibles - par exemple, le 11 avril à Turin (c'est la fin de l'hiver, le début du printemps, c'est un moment particulier) il faudrait imaginer ces deux-là qui arrivent, descendent d'une voiture, il pleut ou il fait froid, et se dirigent vers l'arrêt de bus, c'est un couple comme il y en a des millions
le type est là, c'est un arrêt de bus, dans la banlieue, où il se rend tous les matins quand il bosse, il a été prévenu plus ou moins, des appels téléphoniques chez lui, des indices des signes (et des mots, certainement, dits à l'usine, dits par lui aussi bien et des actes aussi, aussi bien) - il est là attend son bus il va au chagrin et peu importe que ce soit un salaud au travail, ou dans ses relations professionnelles ou personnelles - tout à coup
les deux autres tirent de leurs imperméables des armes et font feu visant les jambes, laissant là un homme (je n'ai pas croisé de femme dans cette situation) blessé
afin de montrer à ceux qui le secourront, le soigneront, en prendront charge (et à la société toute entière du pays) qu'il ne peut (qu'ils ne peuvent et qu'elle ne peut) impunément continuer à commettre ces actes repérés, marqués, inventoriés et par l'action entreprise, pris en compte (je ne dis pas "vengés" parce que la plupart du temps (restons charitable) ces gens-là sont agis (comme nous tou.tes) par des idéaux, des fantasmes, des rêves absolus peut-être et des ordres des subordinations des obligations - tout comme ceux qui maintenant s'en vont en courant, repartent faisant crisser les pneus de la voiture volée disparaissant)
d'ailleurs la parenthèse qui n'est jamais seule (elles sont deux, et il y a le texte) fait partie d'une des façons que j'ai depuis longtemps adoptée comme forme soit d'explication, soit de digression - ainsi que les tirets - ce qui est entre deux parenthèses et qui forme donc la parenthèse est comme brouillé par son statut - ça prend la même forme que ce codicille - il faut prendre garde de la refermer, cette parenthèse - il faut prendre garde
Italie, Milan. Lorenzo (Iaio) Iannucci et Fausto Tinelli, 18 ans, assassinés le 18 mars 1978 Fausto et Iaio étaient actifs dans l'ancien centre social Leoncavallo. Le 18 mars, les deux camarades se dirigeaient vers la maison de Fausto lorsqu'ils ont vu trois types encapuchonnés via Mancinelli. Ils ont tiré sur eux. Iaio a été tué sur le coup, Fausto quelques minutes plus tard dans l'ambulance. Les deux camarades faisaient des recherches sur le trafic d'héroïne et de cocaïne et son lien avec la « pègre » et l'extrême droite. Toutes ces informations ont disparu après leur mort. Un journaliste de 'L'Unità', Mauro Brutto, qui enquêtait sur le meurtre des deux camarades, a été tué en novembre de la même année et tous les brouillons et documents qu'il a trouvés ont également disparu...