Il y a cette tour, étrange et attirante, tel un aimant. Elle est située sur une île déserte, où nul humain ne vit. Et pourtant, une équipe d’explorateurs et d’exploratrices y été débarquée il y a peu, afin d’y mener des recherches scientifiques. Très vite, la tour devient une source de préoccupations. Certain.es veulent y entrer, d’autres s’y refusent. Une paire finit par y entrer. Une personne inhale les spores d’une mystérieuse plante. Hallucinations. Semi-folie. Violence.
C’est pour ce soir. Après des mois et des mois à préparer minutieusement cette opération, la date du 23 novembre avait finalement été choisie. Je n’en savais rien, j’en ai seulement reçu la confirmation il y a de cela un peu plus de deux heures. Un SMS qui peut-être bouleversera profondément ma vie. Je baigne instantanément dans le doute mais je prends le pli de ne pas trop y penser. Se focaliser sur le concret. On était alors occupé de siroter une bière au centre-ville– elle ne goûtait rien d’extraordinaire mais c’était surtout par plaisir de se retrouver ensemble – lorsque nos téléphones ont vibré, à l’unisson. On s’est regardé. On a compris. L’heure H avait enfin été décrétée. On a terminé d’un trait nos verres pourtant encore bien remplis, et on s’est dirigé vers la sortie. Sans prononcer un mot. Ce n’était pas nécessaire. La mission avait débuté. Ces carnets noircis de notes pendant ces exposés afin de nous révéler ce que nous risquerions de découvrir une fois sur place, ces heures de reportage sur des maladies aussi exotiques qu’inconnues, ces mises en situation où il demeure impératif de réagir au quart de seconde si on ne veut pas perdre la vie ; tout cela devient à présent concret et tangible. En une vibration de téléphone portable. Tout le monde se sépare, certains partent à pieds, d’autres prennent les transports en commun. J’ai pour ma part toujours préféré la marche, comme si le fait de mettre un pas devant l’autre permettait à mon esprit de se mettre en action. Comme ces jouets mécaniques dont le système nécessite d’être remonté pour qu’une petite musique puisse s’en extraire. Le froid est piquant, les pavés sont détrempés. La mélodie, je l’ai bien en tête. Obsédante, lancinante, telle une lame de fond qui me mène inexorablement vers un inconnu où je n’aurai pas pied.
Immersion dans un Japon traditionnel. Une jeune fille se voit allongée sur le sol. Visiblement, elle est morte. Elle se contemple, sans vie. Deux personne pénètrent dans la maison, offrent de l'argent aux parents de la défunte. Encore tiède, le corps est emporté. Il parcourt un itinéraire de routes sinueuses, sous la pluie, et finit dans un endroit aseptisé. Le corps n'est plus qu'un amas de chair, d'organes et de viscères. Une somme d'éléments monétisables. Elle est dépecée comme serait découpé un quartier de boeuf. Et offerte à celles et ceux qui peuvent se le permettre.
C’est donc à cela qu’on ressemble, une fois que notre dernier souffle s’est échappé ? Ayame contemple son corps, étendu sur le sol. Sa tête repose sur le côté gauche, l’oreille et une partie de la joue sur le parquet. Elle a les yeux mi-clos, la bouche légèrement entrouverte. Le regard est vide, le feu est éteint. J’aurais au moins espéré avoir un peu plus de prestance. On dirait un chiffon roulé en boule et jeté dans le coin d’une pièce. Il est vrai que la mort avait été aussi brève qu’instantanée. Ayame s’apprêtait à monter à l’étage, munie d’un petit plateau en bois sur lequel reposait une tassé de thé et un biscuit au sésame. La fin de l’année scolaire pointait le bout de son nez et elle devait encore refaire quelques exercices de mathématique. A son grand désarroi, les dérivées n’étaient pas ses meilleures amies. J’aurais pu mourir à un autre moment… Je ne sais pas moi… en classe ? Ou en attendant le train ? J’aurais au moins eu un petit moment de gloire. A peine a-t-elle fait trois pas à la sortie de la cuisine qu’elle senti une drôle de douleur dans sa poitrine. Aiguë. Pas le temps ni la présence d’esprit de se rendre compte de ce qui lui arrive. Une seconde, le cœur s’arrête. Les pieds vacillent, le corps se penche en avant. Les genoux sont les premiers à toucher le sol, froid. Le reste suit, les bras s’effondrent telle une marionnette désarticulée. La tête finit par clore la chute. Sa dernière chute. Le plateau a été propulsé, environ un mètre plus loin. La tasse s’est renversée mais ne s’est miraculeusement pas brisée. Elle déverse son contenu, doux et jaunâtre, qui s’entremêle désormais aux miettes du biscuit avant de former un fin ruisseau doré, rejoignant la chevelure noire et brillante d’Ayame.
Au milieu d’un petit village se trouve une étrange église, grande, menaçante et pourtant si attirante. Les rues ne permettent pas d’y accéder facilement, tout est fait pour la repousser hors du visible. Et pour cause : personne ne veut plus en entendre parler. Elle abriterait un horrible monstre, niché dans les dédales. Ce dernier s’échapperait par le clocher, dès que la pénombre embrasse totalement les lieux. Un homme tentera d’en percer le mystère, tel une allumette jetée naïvement dans les ténèbres.
Personne n’accepte de m’en parler. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Excusez-moi madame, vous habitez par ici ? Pouvez-vous m’en dire un peu plus concernant cette église ? C’est pour des recherches… La dame s’arrête, me lance un regard horrifié et me conseille de passer mon chemin. Je suis arrivé sur place il y a trois jours, après cinq heures de train et un sinueux trajet en bus d’une heure et demie. J’ai déposé mon sac dans un petit hôtel, sur la place du village, situé juste à côté d’une auberge et faisant face à un saule pleureur, centenaire. Typiquement ce genre de bourg où tout le monde se connaît. Et où une dernière mésaventure met moins de temps à se répandre qu’un inconnu à pouvoir entrer en contact avec la population locale. Surtout si cette personne commence à poser des questions sur un lieu que tout le monde préfère occulter. D’ailleurs, rien ne permet d’y accéder facilement, à cette église. Aucun panneau n’indique son emplacement, pas même cette vieille carte communale, jaunie au fil des ans, située à l’arrière de l’abribus accueillant une fois au matin et une fois au soir l’unique bus reliant ces quartiers à la ville la plus proche. C’est l’église que personne ne veut voir. Il m’a fallu attendre mon deuxième jour sur place pour, après avoir arpenté toute les rues, finalement tomber sur ce petit sentier, sombre et humide, qui amène à une petite place abandonnée où trône, fièrement, ce bâtiment aussi sinistre que menaçant. Des mauvaises herbes se sont infiltrées entre les pavés, certaines plantes ont même pu se développer, là où la pierre froide le leur permet. Je fais le tour de la place, jusqu’à finalement tomber face à une large porte, permettant autrefois de pénétrer dans le bâtiment. Mais voilà : de larges planches aux clous rouillés condamnent désormais l’entrée.
© illustration : Christian Klute – Study after Berenice Abbott
De vrais ambiances, lourdes, denses et poisseuses. Des débuts d’histoire campés de mystères et d’ombres qui envoûtent. J’aime.
Merci Jean-Luc pour ton retour aussi agréable que motivant !