Transversales #3 | le polaroid

Comment s’auto-proclamer roi ou reine de la palissade, chaque été, sur la plage de Pornic à côté du club Mickey, du manège Le roi de la jungle et du stand de chichis dont les effluves envahissent ce bout d’océan Atlantique à côté des optimists et des catamarans qui prennent le large.

C’était sur la photo, un petit polaroid, retrouvé sur la plage. Ils s’étaient autoproclamés rois et reines de la palissade, c’était marqué sur le petit pola, qui les avait pris en carré. Ils étaient, le père et la fille, en tenue de plage. En tenue de vacances, pour ainsi dire. Bermudas et tee-shirts.

∞π©& La palissade, c’était le café-restaurant à proximité de la plage de Pornic, non loin du port où l’on voyait les voiliers. C’était un restaurant spécialisé dans les fruits de mer. On était au bord de lamer, après tout. Le restaurateur était aussi écailler. Il ouvrait les huîtres toujours d’un coup sec devant les yeux ébahis des clients qui ne redoutaient plus la fraîcheur du coquillage. On mangeait aussi des moules, dans son restaurant. †‡¥¢

Le père et la fille voulaient être le roi et la reine de la palissade. Ils y allaient à chaque retour de balade en voilier. Ils y allaient en famille. Le père avait quarante-cinq ans, la fille quatorze ans. Ils s’amusaient à dériver en dériveur en pleine mer, au large de Pornic. A chaque retour de voyage en pleine mer, ils allaient au restaurant. Ils allaient à la palissade.

Pourquoi ce restaurant s’appelait la palissade ? Parce qu’il y avait une belle palissade qui séparait le restaurant de la plage. Le père et la fille s’étaient pris en photo devant cette fameuse palissade de couleur vert de gris. Ce petit polaroid, ils l’avaient perdu sur la plage, en sortant du restaurant. Ils avaient pris la photo avant d’entrer au restaurant. Déjà, avant d’aller manger, ils avaient décrété qu’ils seraient le roi et la reine de la palissade.

Il y avait un manège le Roi de la jungle qui tournait au bord de la plage. Les gamins du club Mickey criaient à qui mieux mieux. Ils s’amusaient. Les enfants s’amusaient. C’était le mois d’août, on était au 15 août, et les vacances commençaient à s’étirer sur la fin.

Le père et la fille s’étaient fait prendre en photo © par l’animateur du club Mickey. C’était un grand gars de 19 ans. Un grand maigre. Ils avaient eu de la chance car ce grand gars aimait prendre les gens en photo. Et il leur avait dit qu’il aimait les polaroids. Eux, c’était leur seul appareil photo en ce jour du 15 août, ce petit polaroid que la fille avait eu à Noël. ®

Les enfants tournaient sur ce manège enchanté et se disputaient la queue du singe. « Tournez, tournez. Qui veut la queue du Kiki ?», avait demandé la propriétaire du manège. Les enfants tournaient en riant. Ils ne savaient plus où donner de la tête et du bras qui tentait d’attraper la queue du petit singe. En bande-son, la propriétaire du manège passait «L’aventurier» d’Indochine.

Le père et la fille revenaient d’un petit voyage en voilier, un petit dériveur qui faisait très bien l’affaire quand on voulait faire de la haute mer sans s’aventurer trop loin. A leur retour, ils s’étaient arrêtés à la Palissade. C’était leur restaurant préféré à Pornic. Ils aimaient les fruits de mer.

Ce petit polaroid, ils l’avaient emmené avec eux dans le restaurant. C’était la fille qui l’avait pris dans sa main. Ils riaient sur la photo, toutes dents blanches dehors. La fille portait un petit bob blanc, le père un large bob bleu marine. On voyait qu’ils revenaient d’un petit tour en voilier. Tous deux étaient bronzés.

Le stand de chichis était juste à côté du manège. La fille voulait un chichi avant d’aller au restaurant. Mais son père lui avait dit non. « On viendra là pour le dessert », avait dit le père.

Sur le pola, la fille avait écrit : le roi et la reine de la palissade, Pornic, le 15/08/1986. Elle avait un bob blanc sur la tête pour se protéger du soleil et un bandana rose autour du cou. Aux pieds, père et fille portaient des TBS en cuir, de style bateau.

Le petit voyage en voilier avait été mouvementé mais la fille s’était sentie invincible lors de cette petite balade où il y avait beaucoup de vent. Elle avait été très concentrée pendant tout le voyage, mais elle riait, les cheveux dans le vent. Les vagues étaient fortes, sans pour autant prendre tout l’espace de la mer. Un peu de houle, de quoi rendre cette balade intéressante et pas comme sur une mer d’huile, comme il arrive parfois au 15 août.

Elle avait beaucoup ri lors de cette petite sortie père-fille. C’est pour ça qu’elle avait inscrit sur le petit polaroid «le roi et la reine de la Palissade». C’était pour continuer sur ce même ton de plaisanterie. Elle ne se sentait absolument pas reine de quoi que ce soit. Ni princesse d’ailleurs. Elle avait juste envie de rire.

Le petit polaroid avait jauni les couleurs naturelles. Les couleurs étaient déjà un peu passées, dans les tons pastel. Elle avait les cheveux blonds. Ses cheveux avaient blondi au soleil. Le père avait les cheveux bruns et la barbe poivre et sel. Tous deux souriaient sur la photo prise par l’animateur du club Mickey qui s’était converti en photographe de vacances, l’espace de trois minutes. Tous trois avaient attendu que la petite photo sorte de l’appareil. Ils avaient attendu cinq minutes. © L’animateur du club Mickey leur avait tendu la petite photo et ils avaient convenu que la photo était suffisamment réussie pour que l’animateur-ado retourne s’occuper des enfants du club Mickey. Ils avaient beaucoup ri et beaucoup souri. ®

En sortant du restaurant, le père et la fille décident d’aller au stand de chichis, comme convenu avant d’entrer au restaurant. C’était pour un petit dessert express. La fille avait eu son chichi. Mais, en prenant le beignet, elle avait laissé tomber son polaroid.

  • Un peintre du dimanche passe sur la plage de Pornic. Il s’arrête devant le stand de chichis comme il en a l’habitude avant d’aller peindre sur le port. Il voit une photo à ses pieds. Un homme et une adolescente qui sourient sur la photo devant la palissade du restaurant la Palissade, un petit pola sur lequel il est marqué : « le roi et la reine de la Palissade, Pornic, le 15 août 1986 ». Il ramasse la photo et la met dans sa boîte de couleurs. Il peindra peut-être les deux protagonistes plus tard.

A propos de Elise Dellas

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