Elle a pris le train de nuit au départ de Paris pour se rendre à La Rochelle, où une personne inconnue l’attendra pour la loger quelques jours (prélude à une destination dans la campagne vendéenne) son billet aller-simple rangé dans son sac de toile, le retour indéfini, suspendu à l’espoir d’un matin plus clair lorsque la guerre aura cessé de déchirer les familles, aux jours meilleurs comme elle entend le dire si souvent, comme s’il ne suffisait que d’attendre et espérer, parfois même oublier pourquoi elle est assise là, fuyant une ville envahie, la gorge serrée, surveillant la valise déposée dès l’entrée dans le wagon sur l’étagère à bagages située au-dessus de son siège, bien avant que le wagon ne se remplisse de passagers aux visages fermés regardant avec douleur le quai et, au-delà, les façades aux volets fermés dissimulant leur maison, leur appartement qu’ils ont dû abandonner en même temps que leurs souvenirs, comme elle l’avait fait quelques instants plus tôt, mais elle a fini de pleurer à présent, elle s’est tournée vers l’homme qui, sur le quai, cherche son regard, articulant exagérément pour qu’elle comprenne alors que seul le tumulte des machines, le grouillement de l’incompréhensible lui parviennent de l’extérieur, répétant toujours les mêmes mots : la valise ? la valise ? jusqu’au moment où elle fait un mouvement de tête pour lui dire oui, oui elle a rangé la valise tout près d’elle, la valise renfermant l’argent de la vente de leur magasin d’outillage Les Forges de la Seine, hérité de son père et avant cela de son grand-père, vendu sur ordre des Allemands, heureusement à un ami en qui ils ont confiance, nécessitant que l’homme reste encore pour régler quelques papiers, espérant la rejoindre très vite à la campagne loin du tumulte et du danger, inquiet tandis que le train se met en route au coup de sifflet du chef de gare, ne lui laissant que quelques minutes pour encore la regarder, avançant au rythme de la locomotive, chacun se faisant signe de part et d’autre de la vitre poussiéreuse, l’homme perdant de la distance, espérant un moment encore que tout cela ne soit qu’un cauchemar, levant les deux bras vers elle avant de les laisser retomber et disparaître à la vue de la femme à la faveur de la courbure des rails.
Suzanne a pris le train de nuit au départ de Paris, accompagnée de ses deux filles, blotties dans ses bras, Suzy, la plus jeune, agrippant d’une main encore gantée son lapin blanc en peluche, de l’autre la main de sa grande sœur, Claire, aux yeux grands ouverts d’hébétude, destination La Rochelle au petit matin où une organisation aura désigné une bénévole qui les attendra pour les héberger et les nourrir quelques jours, (prélude à une destination dans la campagne vendéenne), leurs billets aller-simple rangés dans son sac de toile, le retour indéfini, suspendu à l’espoir d’un matin plus clair lorsque la guerre aura cessé de déchirer les familles, aux jours meilleurs comme elle entend le dire si souvent, comme s’il ne suffisait que d’attendre et espérer, parfois même oublier pourquoi elle est assise là, fuyant une ville envahie, la gorge serrée, surveillant la valise déposée dès l’entrée dans le wagon sur l’étagère à bagages située au-dessus de son siège, bien avant que le wagon ne se remplisse de passagers aux visages fermés regardant avec douleur le quai et, au-delà, les façades aux volets fermés dissimulant leur maison, leur appartement qu’ils ont dû abandonner en même temps que leurs souvenirs, comme elle l’avait fait quelques heures plus tôt, mais elle a fini de pleurer à présent, elle se tourne vers l’homme qui, sur le quai, cherche son regard, articulant exagérément pour qu’elle comprenne alors que seul le tumulte des machines, le grouillement de l’incompréhensible lui parviennent de l’extérieur, répétant toujours les mêmes mots : la valise ? la valise ? jusqu’au moment où elle fait un mouvement de tête pour lui dire oui, oui elle a rangé la valise tout près d’elle, la valise renfermant l’argent de la vente de leur magasin d’outillage Les Forges de la Seine, hérité de son père et avant cela de son grand-père, vendu sur ordre des Allemands, heureusement à un ami en qui ils ont confiance, nécessitant que l’homme reste encore pour régler quelques papiers, espérant la rejoindre très vite à La Rochelle avant de partir dans la campagne vendéenne sous une autre identité, loin du tumulte et du danger, inquiet tandis que le train se met en route au coup de sifflet du chef de gare, ne lui laissant que quelques minutes pour encore la regarder, envoyer des baiser de la main aux petites, avançant au rythme de la locomotive, chacun se faisant signe de part et d’autre de la vitre poussiéreuse, l’homme perdant de la distance, espérant un moment encore que tout cela ne soit qu’un cauchemar, levant les deux bras vers elle avant de les laisser retomber et disparaître à la vue de la femme à la faveur de la courbure des rails, de sorte que les filles pleureront en silence jusqu’à ce que le train traverse la rase campagne, le gris de l’horizon, des gares où l’on ne s’arrête pas, puis elles s’endormiront bien après que les chuchotements du wagon auront cessé, chacun s’épiant, méfiants, n’osant engager la conversation au cas où…, si jamais…, on ne saurait dire ce que l’on redoute dans ce wagon en mouvement mais la peur est partout et l’espoir, aussi lourd que leurs valises refuse d’entendre leur nouveau nom, réfugiés, celui qui leur sera donné sur le quai de la gare dans quelques heures, au matin d’une nuit blanche.
Tentative d’un texte à joindre à Faire un livre. Ne connaissant pas assez le paysage ferroviaire de cette époque je suis restée sur les deux personnages qui sont à creuser. Qui sont ils plus précisément ?