autobiographies #06 | notturno

S’ils avaient lu les fantasmes durassiens de madonne des sleepings ils auraient pris le train et n’en seraient pas là ces trois garçons qui partent ce soir en voiture plein nord pour aller voir l’ami d’enfance à L. fantasme pour fantasme il reste une place pour une improbable accorte autostoppeuse ils roulent doucement dans les rues lumineuses de B. rouge vert jaune vitrines voient plus qu’ils n’entendent les auto-tampons de la fête foraine sur la grand place ils ne se sont pas vus depuis l’enfance ah tu es allé à Madagascar c’était comment ? le père sorti mal en point de la guerre d’Algérie fin de l’empire colonial quand nous sommes revenus c’était la fin du tournage des demoiselles de Rochefort ils se dépêchent de sortir de B. rejoindre l’autoroute quitter l’ordinaire partir se mettre en voyage Rochefort ? la place Colbert passée de l’ombre à la lumière ils se devinent éclairés seulement par les phares qui les doublent se cherchent par des questions à réponse sans importance et toi tu as fait quoi depuis si longtemps la cour des comptes et j’ai imaginé un musée là-bas loin dans la montagne je fais de belles expos qui intéressent quelques curieux la nuit rend le paysage effrayant et désirable à la fois même les stations-services sont belles il va falloir s’arrêter l’homme à la caisse parle parle parle j’ai fait des études dans mon pays je suis venu ici j’ai beaucoup travaillé voyagé je sais tout faire dans le métier me suis marié je connais la France tout dans le coin je suis d’ici n’est-ce-pas dites le moi la nuit je mens la nuit je parle la nuit je me rassure tu as eu ta période Pouillon en revenant d’Algérie ? la tournée des abbayes Thoronet Silvacane cette lumière tu sais qu’il y a un immeuble de Pouillon sur l’île de la cité ? et on s’approche de l’intime les enfants un fils l’adoption nous a donné du bonheur ses décisions ne sont pas simples il regarde vers la politique et vous ? non l’impression de filer à la vitesse de la lumière et d’être toujours au même endroit isolés du monde seulement là pour donner de l’importance à la banalité ceux qui ne conduisent pas s’endorment notturno de Schubert suites pour violoncelle de Bach pour berceuse l’autoroute traverse T. ici je me suis marié je traversais la France de nuit pour venir la voir ça a pas duré nous étions (j’étais) trop durs trop surs de nous de nos vérités trop vieux déjà peut-être combien de temps faut-il pour devenir jeune tiens on pourrait pousser jusqu’à Charleville avant de redescendre vers B. on rendrait visite à Verlaine à Rethel j’aurais plaisir à refaire avec vous le pèlerinage sur la tombe d’Arthur le jour se lève sur sa butte à contre-jour la cathédrale domine la plaine par la route en lacets ils montent jusqu’à elle vue lointaine juste éclairée les arcs boutants redessinés la nef envahie par la lumière et sur les quatre tours les seize bœufs qui ont aidé à transporter les pierres jusqu’ici pour construire cette merveille hommage à eux dit la légende

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.