Monsieur joint n’était pas un fumeur d’herbe, de chichon, ni de tabac. Il appréciait le mauvais vin, la viande avariée, le café Top-Budget. Monsieur Joint n’était pas un personnage de roman. Ou alors de très bons romans. Mais aucun Olivier de Vitton fauché n’avait pris le taureau par les cornes, et le monsieur en gris vaquait à sa fanfaronnade révulsante sans qu’aucun Alien ne vienne jamais l’abducter. Fin de la farce.
« Quel arbre, Diego ! Tu as vu ? Tu sais ce que c’est ?
– … … … Non.
– … C’est un figuier. Oh lala, mais quelle merveille ! Je crois que c’est le plus beau figuier que j’ai vu de ma vie. Le plus grand, aussi. Tu as vu comme il est grand ?
– C’est tout de suite à gauche après l’arbre, l’autochtone nous a dit.
– Ah ! Je crois que c’est là.
– C’est tout de suite après l’arbre.
– C’est là.
Les deux entrés donnaient sur un terre-plein de belle pierre bien taillée, bien blanche et bien propre, une fenêtre semi-ovale laissait voir le praticien penché sur un dos. Semblant arriver avec nous, un beau jeune-homme nous dépasse et s’assoit sur un muret accolé au cabinet. Il porte un casque sur l’avant-bras. Un smartphone sur l’autre. Il n’est pas manchot.
« On entre ?
– Je crois que c’est une entrée privée.
– Non.
– Ignacio. C’est une entrée privée.
– Bon, on va à l’autre porte, alors, si tu veux.
On entre. Ignacio d’abord, respect pour les vieux cons. Vieux connard à cause duquel on m’injecte mensuellement une pourriture de médicament rétroactif pour soigner une schizophrénie due, si elle existe, à une rupture amoureuse, à cet autre salopard qui m’a diagnostiqué la maladie avant d’apparaître en une d’un hebdo populaire et indépendant soupçonné d’avoir collaboré avec la junte militaire du Général Pinochet, à la dinguerie de celui qui continue à se prétendre mon père devant les inconnus comme devant les amis.
« Docteur Kessel. Vous avez une chance extraordinaire. L’arbre que vous avez dans la cour est simplement ébouriffant. J’aime les nuages, vous savez ? Mais si je trouve un arbre, spécialement un figuier comme le vôtre, j’oublie les nuages, et je me prosterne. L’arbre nous donne la vie, l’oxygène, le rêve, la complexité. Sans l’arbre, sans l’arbre ? Vous et moi, monsieur, nous ne serions même pas là à nous regarder en amis, nous serions peut-être, au mieux, des larves grouillantes dans des marais à jamais putrides. L’arbre surgit ! Il s’élève ! Croît ! Dans la beauté et dans la majesté. Mais je viens pour tout autre chose, docteur. J’ai débroussaillé…
– Sortez.
– Regardez mon dos.
– Sortez, monsieur.
– Ignacio, on devrait partir.
– Non. Vous allez me voir.
– Ah bon ?
– Oui.
– Ah bon ?
– Parfaitement. Vous n’avez pas le droit de refuser un patient. Je suis un patient. Vous vous comportez comme un malfrat. J’ai développé une allergie qui me fait très mal…
– Je dois appeler la police ?
– Mais faites ! Faites ! Appelez la gendarmerie ! J’attends ici avec vous. Je vais vous poursuivre auprès de l’ordre médical.
– Partez, maintenant.
Nous rejoignons la voiture en remontant une petite allée, le toubib continue à nous mater.
« Non mais, pour qui il se prend, celui-là ? Il est encore en train de nous regarder. Regarde, Diego. Je te promets, je vais lui faire perdre son boulot. Il ne pourra plus travailler nulle-part. Tu ne veux pas aller voir s’il nous épie encore ?
– Non.
– Pardon ?
– Non. Je n’ai rien à voir là-dedans, tu te débrouilles.
– Bon.
On rentre au village.