C’est une photo de famille. Une famille figée dans le noir, dans le blanc, le sépia de son temps. Une famille figée dans le partage de regards sérieux qui ne se regardent pas. Des regards vers l’appareil photo, des regards vers ailleurs. Une personne ? Un animal qui passe ? Ils sont 10, la photo les répartit sur trois plans. À l’arrière, une grande fille passe son regard par-dessus tout le monde, tout comme le grand homme à la moustache fournie sur la droite. Ils ont le même front plissé vers la gravité. Celle de l’instant ? Celle de la vie ? Celle de leur vie… Un deuxième plan au complet offre la petite fille aux yeux qui se croisent, l’homme à la gueule cassée (le père ?) et un enfant blond sur les genoux. Une femme au visage épais, à la chevelure épaisse maintenue par une barrette sur le côté, au regard épais, au cou épais… Sur ses genoux trône le plus jeune des enfants, le corps en mouvement contrairement aux autres, il va sortir du cadre si personne n’y prend garde avec sa collerette de tissu blanc qui détonne d’élégance. À côté d’elle une petite fille au visage plus fin et plus léger que les autres. De jolis cheveux longs encadrent son visage d’enfant. Et puis au milieu, dans ce premier plan composé des deux enfants sur les genoux de l’homme et de la femme, il reste une petite fille, plus petite que les deux autres. Les cheveux plus courts, le visage plus innocent, la robe plus claire. Il en reste une au deuxième plan qui se laisse oublié, prise entre les deux adultes, elle les dépasse, ils sont assis, elle les dépasse comme une fusée qui décolle, elle est fuselée, son corps s’en va vers le haut. Elle aussi détonne, une collerette blanche par-dessus la robe dont le tissu semble être le même que celle de la robe de l’une de ses sœurs. Elles ne partagent donc pas que le temps de la photo… Un tissu, un bijou aussi, difficile à distinguer, mais visiblement identique… Elles partagent un même regard enfoncé dans le visage et l’ombre déposée par le moment du déclenchement par le photographe…
C’est un cadre baroque avec en son centre une photo ovale. L’ovale d’une femme âgée L’ovale d’une vie qui déborde du cadre et qui s’en contente à la fois. Une femme âgée dont les dents commencent à manquer et fond renter des joues rendues tendres, mettant en relief des pommettes hautes. Presque pas assez hautes pour soutenir le regard qui perce le cadre, d’ailleurs, la photo n’a pas de verre. Elle est nue. Offerte au temps et à l’usure. La femme ne s’en soucie guère, elle occupe l’espace en toute liberté. Son regard dit la conscience, la présence et la force. Sa chevelure blanche, épaisse a été disciplinée. Pour le moment de la photo ? Par la vie ?
Derrière les déchirures de la photo, une chèvre, dans les bras de son heureux propriétaire. Le sourire de la bouche n’est pas franc, mais celui des yeux, teinté de fierté, en dit long sur l’’homme et l’animal. La tête droite, sous son béret noir posé de côté, un pull sombre, une chemise sombre, mais pas noire, il surélève l’animal pour en montrer quoi ? Le poitrail blanc ? Le corps souple ? Le museau mignon ? L’œil noir ? Il montre cet animal qu’il aime bien à la postérité l’instant d’une photo. La photo parle d’eux et non de lui ou d’elle. La photo parle de deux. Deux amis. De longue date ?
Il est probable que la chèvre, vidée de son lait, soit reparti brouter sous un poirier…
Bonjour
on se laisse bien embarquer. Effectivement on sent le récit naître particulièrement sur la 1ere photo. C’est beau quand un des personnages se détache des autres. Et la photo prend de la dimension.