Un album rigide, recouvert d’une toile orange, sous le film plastique dont on ne parvient pas à éliminer un pli dans son quart inférieur, sur la troisième page, une petite photo carrée, du 10×10. Une maison. Bâtie sur un angle, elle apparaît dans sa partie gauche seulement, laissant la priorité au jardin qui se déroule devant elle et s’enfuit sur sa gauche autour d’une pelouse et de deux allées. L’ensemble est modeste, protégé par une clôture, c’est une maison de briques à un étage dont on ne voit pas la porte. Aux fenêtres, des voilages blancs. Au-delà du jardin, se dresse une maison beaucoup plus imposante dont on n’aperçoit qu’un mur, de briques lui aussi. Dans le jardin, on reconnaît un cyprès, un cytise dont les fleurs débordent du grillage, plus loin peut-être un robinier. Sur la gauche, dans la rue qui longe le jardin, trois entrepôts dont ne dépassent que les toitures pointues. Les couleurs ont passé mais on devine un ciel de traine.
Sur la même page, une photo jumelle est cadrée différemment. Toujours en 10×10, la maison, sans perdre d’importance vient cette fois en fond et une femme, souriante, pose devant elle et occupe le premier plan. Elle est sur la chaussée, au-delà de la clôture et regarde l’objectif. La fenêtre du rez-de-chaussée apparait à présent entièrement et le troisième battant dévoile un rectangle sombre, une moustiquaire peut-être ou une persienne fermée derrière laquelle le rideau ne serait pas fermé. Entre la fenêtre et la porte, un lierre se régale de la façade et fait disparaître les briques dans ses entrelacs feuillus. La femme semble avoir une cinquantaine d’années, elle est vêtue de vert, robe légère et cardigan, son sac à main sur le bras. À sa droite, le capot d’une voiture, garée devant la maison. On reconnaît une Renaut 12, couleur sable. Le ciel est beaucoup plus clair et se laisse observer en bleu. La haute maison qui pointe au fond jardin est devenue anecdotique.
Deux pages plus loin, un repas. Le lignage discret qui permettait de positionner les images a mal vieilli et offre un fond jaunâtre à une photo mal éclairée. C’est toujours une petite photo carrée sur laquelle on a immortalisé une table dressée avant que les convives ne s’installent. On a du mal à en apercevoir le bout tant le contre-jour est important et les invités semblent hanter la pièce. Des serviettes de table blanches se dressent fièrement dans les verres à vin. On retrouve cette table sur une seconde photo, délivrée par un autre appareil, son format rectangulaire en témoigne. La photo est centrée sur le bout de la table, brouillé sur le cliché précédent. Il est occupé par une vieille femme assise sur un fauteuil roulant. Son visage est serein, elle sourit avec application, sait qu’elle est le centre de l’attention du photographe. Ses mains rassemblées sont posées devant elle. De part et d’autre, deux autres figures féminies, souriantes mais coupées en leur centre. Quand on enlève avec précaution la photo de son emplacement et qu’on la retourne, rien, au dos, ni date, ni nom, ni circonstance pour situer la scène. De part et d’autre, deux autres figures féminies, souriantes mais coupées en leur centre. La première photo est trop sombre pour qu’apparaissent le papier peint – des fleurs jaunes oranges au feuillage généreux- au-dessus d’un soubassement en lambris et les appliques murales blanches. D’un corridor ténébreux on passe à un zoom mieux éclairé et festif. Les assiettes sont vides mais ont servi, les verres sont remplis de vin. Derrière la dame âgée s’ouvre une seconde pièce non éclairée dont on ne voit rien sinon un reflet, une impression, une silhouette peut-être ou un objet ayant, dans la pénombre, trouvé sa place.
J’aime beaucoup la photo à contre-jour avec les invités qui hantent la pièce.