C’est une large avenue bien rectiligne aux trottoirs larges, deux voies emmènent les voitures vers l’est, deux voies servent au tramway. Entre les deux flots, une petite allée pavée de granite ménage des places de parking. A l’angle de la rue du Professeur Zimmermann, la boulangerie sert les cafés aux tables alignées le long de ses murs violet barbouillés de tags orange. On s’y arrête et s’y retrouve aux premières heures du matin avant la prise de travail. A quelques mètres, la rue bute contre le pont de chemin de fer. Immense ouvrage métallique, gueule sombre d’où émergent des voitures qui comme égarées, hésitent à franchir la lumière brutale du jour retrouvé. A droite, à gauche, les cyclistes. Ceux qui ralentissent et ceux qui filent, maitres tout puissant de la piste cyclable jouant des frayeurs du conducteur devenu presque démodé. C’est l’heure où le pont vibre sous le martèlement sourd des rails, bercement ondulant emportant les voyageurs vers un ailleurs que le matin teinte de rêverie, de contrées imaginaires, lointaines. Chaque matin, on part.
Aux heures de fin de matinée, la navette des amateurs de pain blanc, balayent le trottoir de la boulangerie. L’agitation apéritive se répète à deux pas, sur la place commerçante cachée à la vue. A cette heure, le roulis du train se perd dans la circulation devenue plus dense, plus bruyante. La ville s’enfièvre de ceux qui ne cessent de s’y déplacer. Vélos, scooters, trottinettes sillonnent les rues, zigzaguent entre les voitures, tricotent une écharpe mouvante, dense ou lâche, qui s’abime au fond, vers l’est. Là, les jours où souffle le vent du midi, le Mont Blanc surgit brusquement au bout de l’avenue. Ces jours-là, le regard délaisse la bouche obscure du pont de chemin de fer pour la saisissante carte postale. A portée de main, l’insaisissable sommet. Mythique.
La ville s’assoupit en début d’après-midi, repue. La somnolence gagne les voies ferrées. Un grand trait bleu barre l’horizon du pont de chemin de fer. Le TGV se repose de ses excès de vitesse. Derrière lui, un espace crayonné de bâtiments grisâtres, d’un enchevêtrement de rues et d’avenues. Hérissé d’une grue d’un rouge flamboyant, il s’étale jusqu’à l’assaut final de la colline qui borde le paysage. Mouchetée de vert sombre et clair, sa rondeur cordiale et avenante est entamée par deux grandes barres d’immeuble dont on ne peut dire si elles émergent ou sont sur le point d’être englouties dans le bourgeonnement d’arbres dans lesquels elles s’enracinent. Cette rondeur verdoyante garde avec bonhomie sa ville assoupie.
Lorsque la boulangerie tire son rideau, la ville chuchote pour entrer dans le silence de la nuit. L’arrondi de béton des deux immeubles d’angle s’impose en gardien de nuit massif. Le ballet agité des voitures peine à s’assagir. Deux yeux rouge en hauteur veille sur des lumières dispersées ou ailleurs, alignées sagement en trait superposés. Une avenue au loin, a pris une teinte orangée, animée par des feux clignotant. Le crissement métallique des trains du soir déchire la ville. La nuit urbaine s’ouvre au mystère. La fenêtre allumée en solitaire, le reflet bleu des écrans de télévision devenus veilleurs, les voix qui grimpent contre les façades avec agilité, le chuintement des voitures trop seules. Tout s’interroge au bord de la nuit.
Des peintures poétiques de paysages citadins au rythme de la boulangerie. Belle trouvaille.
Une succession de tableaux bruyants et bruissants du vrombissement de toutes sortes de véhicules, comme « une écharpe mouvante ». J’ai beaucoup aimé. Merci de donner à voir la ville et ses échappées de façon si sensible.
J’aime beaucoup ta description de la ville. Une ville où tout circule, où les horizons se déplacent au cours de la journée. Les bruits marquent le rythme de chacun des tableaux en mouvement. Toutes les échappées sont possibles. Bouxy dit « paysages citadins » et je trouve que c’est tout à fait ce que nous donne ton texte. Merci.