C’est une photo prise par un portable I. Phone 11 donc une photo plutôt récente bien que l’I-Phone XII soit déjà sur le marché. C’est une photo sans cadre, sans esthétique, sans beauté. C’est la photo d’un trou. Un trou dans une vitre. On y voit le ciel à travers ce trou. Un bout du ciel, gris bleuté. Le temps semble maussade. Le trou est rond, et la vitre fissurée. Les fissures partent du centre pour se répandre sur une multitude d’angles et de directions. Est-ce le vent qui aurait brisé la vitre ? Est-ce une balle lancée malencontreusement ? Est-ce un caillou jeté pour ouvrir et se frayer un chemin ? Est-ce un geste de colère, de revanche ou de vengeance ? Le ciel dans le trou est net mais la vitre est floue, on peut voir que c’est une vitre un peu épaisse qui ne laisse voir que les contours de l’horizon, du monde extérieur. Une vitre qui cache et dont l’intérieur veut être secret. Une vitre qui laisse deviner sans rien dévoiler.
C’est la photo d’une porte bleu électrique ouverte et donnant sur un couloir. Le sol est peint en bleu turquoise. C’est une photo prise il y a quelques jours par un I. Phone 11 dans une rue à Cherbourg, une petite rue piétonne, sans voiture. C’est une porte toute en longueur encastrée dans un mur de pierres blanc crème avec le mot Entrée inscrit au-dessus de la porte, en grosses lettres noires quasi effacées. A son côté, le chiffre 5 est là, blanc sur du bleu dans un petit carré de pierre. Deux petites vitres, une, carré et l’autre rectangulaire séparées par un morceau de bois bleu électrique se trouvent également au-dessus de la porte. Vitres dans lesquelles on ne peut rien voir et si on le voulait, il faudrait se munir d’une échelle pour aller regarder là-haut. Si bien que les voisins, passants ou toute autre individu trouverait cela bien étrange de découvrir quelqu’un dans cette posture et peut être, je dis bien peut-être qu’en bon citoyen zélé, irait chercher la police ou une quelconque force de l’ordre. Donc, on peut aisément imaginer que toute personne sensée n’irait pas se munir d’une échelle pour regarder dans une vitre foncée. Mais ce qui frappe le plus l’œil et qui fait toute l’étrangeté de cette porte, ce sont les cinq boites aux lettres bleu électrique, alignées l’une en dessous de l’autre, sur l’autre côté de la porte. Cinq boites aux lettres, pas six ou dix, cinq ! Toutes semblables. Et c’est là que l’on pourrait se poser la question : « Y a-t-il cinq boites aux lettres car nous sommes au numéro 5 de la rue ? Et que ce serait-il passé si nous étions au numéro 6 ou 10 ? Est-ce que les boites aux lettres seraient plus petites ? Est-ce que les autres boites aux lettres existeraient ailleurs ? Ou est-ce que seulement cinq personnes pourraient recevoir leurs courriers ? On peut observer que seule la boite aux lettres numéro 2 partant du haut et la numéro 5 en bas ont des noms inscrits sur des morceaux de papier. Est-ce à dire que seuls deux locataires ou propriétaires habitent dans ce lieu ? Est-ce à dire que les autres appartements seraient vacants donc il y aurait possibilité de s’y installer ? Le mystère reste entier.
Les deux photos suivantes montrent des gens, des personnes, des êtres vivants. Sur l’une d’elle, cinq ou six personnes, en file indienne, et de dos, au photographe. Elles semblent en attente, debout, le long d’une devanture que l’on devine être un magasin ou un petit supermarché, reconnaissable aux sacs de provisions vides qu’elles portent. Elles sont sur le trottoir au sol cimenté et à quelques mètres d’elles, des voitures garées derrière des bandes blanches. Mais les voitures sont en contre-sens aux gens donc face au photographe. Et celles-ci, également, attendent. Attendre les personnes qui attendent ? Les unes attendant les autres mais pas dans la même direction ? Ensemble mais pas tendues vers le même horizon. Cette scène semble suspendue dans le temps, dans ce non-mouvement quelque peu incongru. Pourquoi être en file indienne et distancée d’à peu près d’un mètre ? Et cette rue dans laquelle êtres et voitures ne bougent plus semble descendre vers le bas, mais vers où ? Drôle d’époque, drôle d’histoire, non ?
Sur l’autre photo, deux hommes sont aussi à distance mais pas séparés, seulement assis sur deux chaises et l’on devine, aux tasses posées sur la petite table basse en bois près de celui du fond, qu’ils boivent ensemble. Ou plutôt, qu’ils buvaient ensemble car à l’instant T de cette photographie, prise par mes soins, ils observent le ciel dans la même direction. Les deux hommes ne sont pas frères mais ont quelques ressemblances. Chacun est d’allure un peu costaude, chauves ou crânes rasés, la cinquantaine, et portant un polo noir et un jean pour celui en premier plan et tee-shirt blanc et short pour celui en arrière-plan. Derrière eux, se dessine une maison blanche, dont on n’aperçoit qu’un mur, deux portes et une fenêtre. Ils sont dehors, et par terre, le sol est fait de grands carreaux en pierre. Leurs corps sont tendus et presque tordus dans une certaine dynamique vers le ciel. Ils ne disent rien. Leurs bouches sont closes, leurs regards scrutateurs et concentrés. C’est une fin d’après-midi douce et après la pluie, un arc-en-ciel, vient de surgir. Beauté de la nature qui oblige la suspension de tout.
Ah Cherbourg je connais bien, la ville où j’ai passé toute mon adolescence. Et j’aime y retourner comme j’aime tes textes, particulièrement Tascam !!
Merci Cécile pour ta lecture – J’ai beaucoup aimé Cherbourg, et j’adore la Manche, la mer, le vent, les marées – Bon weekend à toi.
La dernière photo semble résumer tout le texte, un instant suspendu, une attention portée vers une image absente. Dans le premier paragraphe, on retrouve peut-être l’abîme encore, puisqu’il décrit une béance, un trou dans une vitre, et la même chose ensuite, puisqu’il s’agit d’une porte, question de rebords donc, encadrant un espace plein de question, saisi par ses contours. Un regard très extérieur, un regard qui s’interroge, sans être pour autant intrusif et sur la fin du texte, ce terme de suspension aussi qui pourrait s’appliquer à tout le reste, il y a en effet quelque chose de cet ordre, la volonté de maintenir le temps suspendu.