#P4 Comment dirais-je ?

« Il te faut me décrocher les rideaux de, comment dirais-je, de la chambre du milieu. » Elle ne se souvient plus très bien de, comment dirais-je, de la chambre. Mais laquelle ? Tiens, une, comment dirais-je, chambre ! Elle semble ne pas se souvenir bien de ce qu’elle veut, comment dirais-je, dire. Ou plutôt, comment dirais-je, comment. Ça doit être quelque chose comme une chambre cet endroit qu’elle cherche comment, comment dirais-je, comment dire. Fait-elle semblant de, comment dirais-je, de chercher ou est-ce vraiment une énigme, comment dirais-je, transitoire dans sa bouche ? Qui transite par son cerveau, comment dirais-je, lent. Une solution de continuité du, comment dirais-je, du fil de sa pensée. Rattrapée par un tic de, comment dirais-je, de langue, ou, comment dirais-je, de langage. Pratique. Opportun. Adéquat pour, comment dirais-je, pour elle. Prodigieusement agaçant pour, comment dirais-je, pour moi. Inapproprié. Une violence pour ma compréhension générale de, comment dirais-je, d’elle. Une souffrance quand je l’entends, comment dirais-je, quand je l’entends parler. Elle m’énerve quand elle, comment dirais-je, quand elle ne trouve pas ses mots. Elle m’horripile quand elle fait semblant de ne pas, comment dirais-je, les trouver. Cette petite, comment dirais-je, petite expression doit avoir pour elle une aura de bienséance, comment dirais-je, de noblesse langagière. À la placer ainsi à toutes les, comment dirais-je, à toutes les sauces, dans le flot ténu de sa parole, cette expression semble pour elle, comment dirais-je, adorner son discours. Lui donner du, comment dirais-je, du cachet. En tout cas, ça bouche les, comment dirais-je, les trous dans la profération des phrases incertaines. Ça évite de, comment dirais-je, de caler, muette, entre deux mots, entre deux segments qui pourraient très, comment dirais-je, très facilement tenir ensemble sans, comment dirais-je, sans fausse interruption. Nul besoin, donc, de, comment dirais-je, de ce court rajout placé absolument n’importe, comment dirais-je, n’importe quand et n’importe où dans n’importe quelle phrase. « Oui, je vais aller les décrocher, tes rideaux. »

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.

6 commentaires à propos de “#P4 Comment dirais-je ?”

  1. J’en connais de ces « comment dirais-je » et lu votre texte avec la même impatience/le même agacement de les relever (ça fait partie du jeu) et en même temps l’envie de placer ce « comment dirais-je » avant de le lire (ou de l’entendre) – belle orchestration merci !

    • Merci beaucoup, Cécile, pour votre lecture !
      Merci d’avoir relevé la dimension d’orchestration.

  2. Beau tempo à ce texte – et tellement de choses dans ce qui ne peut pas se dire.

  3. Bonjour Fil,
    je me baladais dans la #4 pour la #10 et je tombe sur vous. Quelle joie j’ai bien ri, à haute voix c’est rythmiquement savoureux . Merci