Emménagement dans cet appartement sous les toits et immédiatement le choc, une fenêtre à double battant s’ouvre sur la capitale, offrant au regard ses toits en zinc et quelques uns de ses monuments les plus illustres. Et en ce soir d’hiver, le soleil joue les funambules sur les toits, le voilà qui s’approche du dôme de la Bourse du commerce, 17h01, il le frôle, 17h03, il l’escalade, 17h05, le voilà installé au sommet de la coupole, pause de 2 minutes où il prend la pose. Ravissement de capter l’instant où les deux sphères s’embrassent sous un ciel tout en retenue, sans nuages, d’un bleu discret.
Gris pâle, blanc moussu, crème fouettée, des nuages joufflus portent le soleil, ses rayons d’une géométrie parfaite tombent en biais, leur lumière filtrée sur le camaïeu gris des toits. Comme dans une gloire peinte par un artiste inspiré, la lumière divine coule sur les êtres, les toits sont les élus qui s’enchevêtrent dans un jeu de Kapla, se poussent dans leur verticale, paressent dans leurs parallèles, dressent leurs cheminées comme des suppliques, jusqu’à l’ouverture d’un vasistas qui renvoie la lumière d’en-haut à l’envoyeur.
Moment de grâce suspendu alors que la rue chahute le sacré pour imposer à coups de Klaxons et de revendications sa réalité. De plus en plus fort, éclatent les slogans des manifestants, la colère s’accompagne de musique et de chansons, une manière joyeuse de détourner – et de supporter – les assauts des CRS et leurs cocktails lacrymogènes. Direction la Bastille et son génie de la liberté, dont la main droite porte un flambeau et l’autre, des chaînes brisées…
A peine devinés, les toits se dissolvent dans la nuit, du coup c’est la rosace de vitrail de l’église Saint-Eustache toute proche qui s’impose. Si on pousse la porte, une sculpture récente (1969) témoigne du passé populaire des halles : Le départ des fruits et légumes du coeur de Paris, de Raymond Mason. Scène brute d’un petit matin froid, ciel étoilé, les maraîchers emmitouflés dans leur manteau coloré chargent poireaux, pommes de terre, artichauts, salades, pommes… destinés au ventre replet de Paris, aujourd’hui englouti par l’appétit vorace d’un centre commercial.
Notre Dame, arcs boutants et gargouilles illuminés, dresse sa flèche vers l’au-delà… forêt de chênes centenaires calcinée une nuit sans lune… Une bande d’étourneaux crèvent le tableau de ses cris joyeux.
Le pinceau de lumière du phare de la tour Eiffel révèle le ciel noir où étoiles et planètes restent invisibles. A chaque rotation, le projecteur enlumine le blanc diaphane de nuages légers jouant à cache-cache avec la lune en croissant farceur… et la solitude guette minuit et le scintillement de milliers diodes pour aller se coucher.
Hier le ciel était gris blanc de neige, la tour Eiffel absente.
Ce matin, à l’est, le soleil darde ses rayons rosés – rosée du matin – et poudroie les nuages qui s’étirent après une longue nuit froide. Les toits retiennent les coussinets de neige, qui ressemblent à du coton de pharmacie, on dirait un décor de carte postale ancienne, d’ailleurs la tour Eiffel a recouvré sa superbe.
La proue de l’immeuble du Figaro s’impose parmi les toits, dans son hall, dernier vestige de plomb et de labeur, la grosse linotype raconte l’histoire du Sentier à l’heure de la presse papier avec ses hauts et bas-de-casse. Les portefaix chargés de rouleaux de tissu ont remplacé les crieurs de journaux.
Notre étoile de feu embrase l’entrejambe de la tour Eiffel, telle une vulve incandescente – et peut-être indécente –, elle donne à voir un orgasme céleste, « bleu comme une orange ».