Dimanche. J’aime le désordre de nos dimanches, j’enfouis mes rêveries dans leur désinvolture et leurs replis. J’ai passé une grande partie de la journée à mon bureau à lire et à écrire mais ma Sentimenthèque a peu avancé. Relu le premier chapitre de l’Idiot. Le soir, N. et A. sont rentrées. J’ai coupé un melon, préparé une grande salade de riz, thon, tomates et basilic, une solution facile qui accorde tout le monde.
Lundi. Intense moment de lecture dans ma chambre : la sidérante traversée de la rivière en crue, le corps des mules raidies et retournées mortes dans Tandis que j’agonise.
Mardi. Splendeur du parc, luxuriance des arbres aux feuillages lourds qui tempèrent la vigueur du soleil enfin de retour. Sur les pentes au vert profond, des femmes, des hommes assis souvent seuls, profitent de la sensation de plénitude qui émane des herbes hautes et des grands arbres touffus.
Mercredi. On mange quoi ce soir ? Je crois que j’ai besoin de vacances, je ne supporte plus d’être destinataire de cette question. Je ne sais pas pourquoi au mot fatigue j’associe en ce moment l’image d’une coque duvetée d’amande.
Jeudi. J’ai fait taire les protestations qui s’élevaient en moi et terminé enfin ma Sentimenthèque. Je ne sais pas si j’arriverais à combler mon retard dans l’atelier… Je retourne à Ternes, rôde dans les rues que j’arpentais pendant la pause déjeuner. Vision en contre-plongée des immeubles haussmanniens comme autant de vaisseaux penchés sur une ligne de crête. Je retrouve des sensations éprouvées alors… Envie de retourner aux abords de tous les lieux où j’ai travaillé à Paris et en banlieue ces dernières années pour les photographier. Je descends les Champs-Élysées de l’Étoile aux Tuileries, sensation de m’abstraire du monde…
Si je venais à Paris pour la première fois, comment m’apparaitraient les Champs-Élysées ? Devant moi marche une femme en longue robe jaune soleil, j’aime regarder les ondulations de sa robe tandis que nous avançons vers la place de la Concorde.
Vendredi. P. m’appelle de Beyrouth. Il est bouleversé par l’état dans lequel il a retrouvé la ville, le dénuement, l’inflation, le manque de tout. Il a apporté des médicaments à ses amis. Un chauffeur de taxi lui a dit qu’il n’arrive pas à trouver du lait deuxième âge pour son bébé.
Samedi. Nous accompagnons A. à la gare Montparnasse. Je suis toujours étonnée par sa capacité à faire si rapidement sa valise sans rien oublier au milieu du désordre exubérant de sa chambre. Au jardin du Luxembourg, M. regarde les parties d’échecs rapides et passionnées d’un groupe de jeunes joueurs. Je sillonne les allées. Plaisir de respirer l’odeur des arbres, de regarder les jardiniers à l’œuvre. Feuillages denses, pelouses tondues trop ras à mon goût. Devant moi, une jeune fille d’une maigreur qui fait peine à voir, les os de ses jambes à peine enrobés d’un peu de chair, s’approche du verger et montre les fruits ensachés au jeune homme qui l’accompagne. En fin d’après-midi, je vais rendre Tandis que j’agonise à la bibliothèque. En réponse à ma question, le jeune bibliothécaire (?) constate qu’il n’y a aucun livre de Claude Simon dans son fonds. Dommage, c’est tout de même un « classique ». dit-il avec une sorte de fatalisme teinté de regret.
Dimanche. Trombes d’eau intermittentes qui claquent les vitres, turbulences à l’intérieur, gros doutes car je suis très insatisfaite de mes textes L2 et L3, l’un trop rigide, l’autre trop primaire. L’impression d’avoir perdu ma voix, en tout cas la voix qui me portait dans L. Ce n’était peut-être pas une bonne idée de vouloir initier dans l’atelier un livre parallèle ou perpendiculaire à mon projet actuel… Mais changer complètement d’univers pour l’été me semblait trop difficile. Et comment quitter K. en ce moment ?
J’aurais aimé écrire votre première phrase « J’aime le désordre de nos dimanches, » quand bien même je hais les dimanches. Il me semble que dans votre texte toute tentative d’éloignement /d’extirpation du réel est rattrapée par le prosaïsme pesant de la vie. Ne perdez pas votre voix et gardez l’équilibre entre le parallèle et le perpendiculaire.
Sans aller jusqu’à penser que « toute tentative d’éloignement /d’extirpation du réel est rattrapée par le prosaïsme pesant de la vie », il y en effet quelque chose de très juste dans votre remarque. Je vais prendre un peu de recul par rapport au rythme de l’atelier, un peu trop rapide pour moi en ce moment, pour retrouver un équilibre dans mes projets. Merci pour votre passage Cécile.
N’aurais-tu pas envie d’écrire sur la nourriture ? L’indigestion de « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? », l’amande de la fatigue, les solutions qui accordent tous, la maigreur de la femme du verger ? Moi, j’aurais envie que tu le fasses. Alors je vais aller voir ta #P3
Et comme par hasard, je n’ai pas fait la P3… au prétexte que je suis bien en retard dans l’atelier. En tout cas, merci beaucoup Emmanuelle pour ton invitation à écrire sur la nourriture (y suis très sensible).
Du bien quotidien qui ancre ce journal dans l’authentique – surtout ces questionnements concernant les choix, les orientations, les doutes, besoin de recul – je crois tellement au besoin de recul , de recreuser ailleurs…
Merci Christiane pour votre passage et votre message qui me réconforte, je commence à sentir que ce recul sera peut-être être fécond.