Nuits et lumières

La première chambre à dormir seule, à l’adolescence. Décor simple, papier peint sans intérêt, juste beige clair aux figures géométriques, un sofa un peu dur au milieu de plantes vertes qui dégoulinaient du mur encadrant des photos…ça changeait de la Vierge à l’enfant de Rafael qui régnait sur notre enfance… la décoration n’était pas mienne, mais l’espace me plaisait, ce grand espace dans cette pièce si claire, si lumineuse, avec deux fenêtres tournées vers l’est qui accueillaient le soleil tôt le matin et éclairaient ma journée

Une chaise-longue installée sous le grand arbre du jardin, entre soleil cuisant de l’après-midi et ombrage frais des feuilles rouges du prunier, un matelas pour ménager le dos, un livre pour méditer, bien-être profond, je glisse dans le sommeil malgré moi

Au pied d’une dune de sable fin, brillant sous une lune blanche et ronde dans le ciel presque noir, couchée à même le sol sur une mousse légère, écouter les bruits du désert, compter les gouttelettes de pluie surprise, suivre les yeux grand ouverts, avidement, le trajet des astres et finir par s’endormir dans une nuit sereine

Une autre nuit, entre sable et rochers, tête enfouie profondément dans le sac de couchage, les oreilles aux aguets, tourmentée par un vent de sable violent agitant la nature, secouant, soufflant, bruissant, maître d’une nuit sans sommeil

Sans sommeil aussi cette nuit de classe de neige en dortoir de vingt-cinq lits, et autant d’écolières excitées par cette nouvelle expérience, par ce semblant de liberté de ne pas dormir, de parler, de chanter, de danser sur les lits, toutes sauf une qui s’égosille pour avoir un peu de calme, pour dormir un peu, juste un peu, la tête et le corps en détresse, rompus dans le besoin impératif de sommeil, qui réclame la paix en criant jusqu’à perdre sa voix

Une couchette, dans un train de nuit qui n’existe plus, la couchette du haut si possible à droite, grimper en équilibre par une échelle rudimentaire, monter en même temps la sacoche, les vêtements, s’installer le mieux possible en dépliant le drap cousu plié, la couverture rêche et lourde, caser le sac à main sous l’oreiller près de la cloison, fermer les yeux, rêver des couchettes dans le wagon suivant, plus douces, plus moelleuses, moins hautes, moins nombreuses, sursauter à l’appel du contrôleur, montrer billet et patte blanche, sommeiller entre les arrêts dans des gares illuminées aux néons, se réveiller brusquement à Paris, à 7 heures du matin et partir découvrir les rues de la capitale qui s’éveille

Dans un domaine de vignerons perché sur une colline du Midi, un couloir de tomettes rouges, une fenêtre à chaque bout, jeux de lumière d’est en ouest, et la chambre tournée vers le sud, une chambre presque nue, un matelas confortable par terre, étagères minimales pour ranger, mais une fenêtre éclairée par le soleil du matin au soir et une vue renversante, émouvante, imprimée dans ma mémoire… la vue sur les vignobles, sur un paysage de cyprès et d’oliviers,  et plus loin le Mont Saint Clair et l’étang de  Thau, l’eau étincelante quadrillée par les parcs à huîtres, labourée par des bateaux en traversée, et en prime les feux d’artifices du 14 juillet

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

2 commentaires à propos de “Nuits et lumières”

  1. Merci Marlen, j’ai compris et répondu.
    Bonne écriture à toi, mais toi, tu avances bien…
    Bises