C’est un bourdonnement sourd. Un bruit inhabituel. Pas une voiture, pas un tracteur. Un deux roues. Une moto. Ça fait du bruit et ça attire. Quelques rideaux aux fenêtres frétillent de curiosité. Le bruit s’arrête, le motard descend. On attend. Il est bardé de cuir, aux mêmes couleurs que son bolide à la taille de guêpe : gris clair à bandes bleu marine. C’est un bel engin avec des pots d’échappement qu’on dirait briqués pour l’occasion. Ça brille, on pourrait s’y voir dedans.
Dans le café, on regarde le nouveau venu sans se gêner. Tout le monde est suspendu à cet instant, dans une touchante communauté d’expectative. L’homme — car c’est un homme — enlève son casque noir. On est presque surpris que ça ne fasse pas le bruit d’une bouteille de vin qu’on débouche tellement tout le monde attend quelque chose d’extraordinaire.
Parce qu’à Longuevielle, tout le monde se connaît. Et cette moto on ne l’a jamais vue, ni même entendue. Le diagnostic se confirme : personne ne connaît ce type. Les quelques rideaux aux fenêtres qui s’étaient immobilisées retombent.
Cheveux courts noirs, trentaine à tout casser, il a chaud sous sa combinaison et une goutte de sueur perle sur sa tempe. Il pose son casque sur sa selle, ne prend pas la peine de l’attacher.
Il a raison. Ici personne ne vole, ici on est honnêtes. Même lorsqu’il y a un écart — ça arrive à tout le monde, les écarts — rien ne reste longtemps secret à Longuevielle. Dans le temps peut-être, quand la commune était étendue, on pouvait se cacher des choses, mais maintenant tout le monde se connaît. Tout le monde sait ce qu’il y a à savoir sur son voisin. Ça rassure. Ça protège d’on ne sait quoi. Ça donne l’impression qu’on est une grande famille, qu’on se serre les coudes. L’impression. Tout le monde vit là-dessus, les impressions. Sans penser qu’on se déforme à force d’impressions. Voilà ce qu’est Longuevielle : une toute petite commune déformée par ses certitudes, ancrée dans ses habitudes.
Alors quand il entre dans le café, le motard anonyme, tout le monde se demande ce qu’il vient faire là. Peut-être rien, peut-être est-il seulement de passage et qu’il veut juste s’en jeter un, se désaltérer avant de poursuivre sa route. Peut-être.
On l’accueille, on est content de voir une nouvelle tête, mais on se pose des questions. Et les questions ça n’est pas bon. Ça change les impressions. Ça ébranle les certitudes.
Très réussi ce portrait de motard dans un petit village. Merci pour cette arrivée.
Merci à vous!
bienvenu dans ce village… je n’en suis pas convaincue… l’imagination en ébullition avant le prochain épisode
Moi aussi, je ne sais pas encore où il est tombé, en plein dans le deuxième exercice pour essayer de mieux le savoir… !
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