C’est ici. Une grand-porte d’un bleu délavé s’ouvre sur un porche. Au fond, on devine une cour. Se représenter la scène depuis le départ, depuis le moment où il a claqué la porte d’un chez lui parmi d’autres, depuis le moment où il s’est mis en branle, ses grandes enjambées n’affirmant rien. En longeant le canal jusqu’à l’écluse, le vivre de l’intérieur, ce nouveau clap, en quittant le chemin de halage pour rejoindre la ville, dérouler mentalement un tapis dont il ignore tout, se dire quand j’y serai, se voir y être. En se posant sous un pont pour aplanir la lanière de la sacoche du plat de la main afin d’en atténuer le coupant, oser penser que cette fois la désillusion ne gagnera pas la partie avant d’avoir les cartes en main. Écouter le train passer au-dessus de lui. Des trains, il en a pris beaucoup, ce soir c’est à pied, porter le sac sur l’épaule droite et se remettre en marche. C’est ici. Se sentir à l’instant à côté, à l’extérieur de lui, comme évadé d’un rêve, à côté du déroulé qu’il a remâché tout le trajet et qui est finalement une pâte sans forme. Rester sur le trottoir, attendre, attendre encore, le déclic en soi, l’impulsion qui fera qu’il s’avancera, ira, se signalera. Sa tête fait des mouvements de rotation de droite à gauche et d’avant en arrière pour détendre ses cervicales malmenées. C’est ici, devant cette porte indigo passé que ses pas l’ont conduit, majorelle peut-être, le 325 en faïence poussiéreuse ne laisse pas de doute, au 5 il manque le trait horizontal, cela lui donne l’air d’une cédille, d’un point d’interrogation renversé. Prolonger encore, retarder, différer, fermer les yeux et juste mentalement traverser le porche, dans la cour contourner les voitures, chercher où sonner, quelqu’un viendra peut-être, le voyant arriver. S’autoriser à faire demi-tour. Il attend, adossé contre le mur. Sa sacoche est posée au sol, alourdie, déformée par les promesses qu’elle a contenues.
J’aime beaucoup le rythme que tu donnes à ton texte et aussi ces infinitifs comme suivre les pas de ces grandes jambes qui n’affirment rien et pourtant. Belle ouverture. Merci.
Rétroliens : Cochon pendu – Tiers Livre, explorations écriture
Rétroliens : Squelette mou – Tiers Livre, explorations écriture
J’aime l’accroche sur les détails, le tranchant de la sacoche, le 5 auquel il manque la barre. J’aime aussi l’hésitation que l’on ressent.