#P1 | Comme dans une grotte

L’alcôve sous les combles ne protège pas des prédateurs, il faut rapatrier une armée de poupées et d’ours et s’enfouir au milieu d’eux, visage rond figé parmi les joues de plastique et les yeux luisants des peluches en respirant sans bruit jusqu’à ce que le sommeil m’emporte.

Ouvrir la fenêtre sur le grand fleuve et les verdures d’iles vierges jusqu’à l’horizon, observer le vol endiablé des hirondelles. Refermer les volets, les rideaux fleuris, glisser sur les tomettes usées jusqu’au lit où tenter d’accorder les courbures de mon corps aux creux du vieux matelas.

Malgré le décalage horaire, impossible de m’endormir sur ce canapé au fond de la pièce encombrée – dossiers, journaux, planche à repasser, cartons, vaisselle, chapeaux de paille – sans avoir chassé l’énorme cafard voletant entré par les portes vitrées refermées sur la nuit tropicale.

Le vertige devant l’à-pic de six étages à l’heure de me coucher dans l’étroit lit d’une nuit redoutant mon inconscient somnambule attiré par le vide au point de coincer une chaise en travers de la fenêtre.

Chambre avec craquements de vieux bois odorant et peur délicieuse sous l’édredon épais dans la maison des grands-parents rue Paul Thénard.

J’ai repeint ma chambre en noir, rue Meyerbeer, plafond noir, murs noirs jusqu’à un mètre cinquante du sol où le blanc tentait sa chance. C’était une chambre où je cherchais une renaissance, parfois j’y dormais étrangement bien.

Lower East Side, sur un canapé déplié nous finissions par nous endormir face à la structure d’un immeuble en construction – filins orange tendus sur tiges d’acier pour border le béton ouvert sur le vide – où jour et nuit jaillit la lumière crue des lampes de chantier… peut-être rêvons-nous d’un palais de parpaings gris avec des fils électriques suspendus au toit de tôles argentées ondulant au soleil avant d’être réveillés à l’aube par l’écho des coups de massue et la vibration des perceuses.

La lumière monte derrière les volets, éclaire les fleurs du rideau, l’idée du matin s’installe, on s’étire dans l’emmêlement des draps, il fait encore frais, derrière les volets le soleil émerge des îles du fleuve.

Avenue Guy de Maupassant, la chambre s’ouvrait sur un petit balcon aux effluves d’eucalyptus et la lumière d’un jardin méditerranéen dissipait les cauchemars et les apparitions nocturnes.

J’aime ma petite chambre, notre petite chambre jaune, où je me blottis comme dans une grotte pour écrire sur quelques chambres où j’ai dormi.

A propos de Muriel Boussarie

Je travaille sur un chantier d’écriture au long cours et j’espère avoir assez de souffle pour le mener à terme. L’intuition de ce projet a surgi ici, dans un atelier du Tiers Livre. Il était question de se perdre dans la ville. Comme je ne voulais pas suivre une piste trop autobiographique, j’ai délocalisé l’errance en la situant dans la ville de K., un avatar de Hong Kong qui m’avait tant fascinée. Alors un personnage, un homme, Tu, toujours interpellé, est immédiatement apparu dans une rue de K. où il s’était égaré. Malgré cette entrée en matière – très forte pour moi – je n’ai pas pensé au départ écrire une histoire, encore moins un livre. Mais je voulais écrire, rêver un univers, celui de K. Quelques textes ont ainsi vu le jour sur mon blog. Puis lors d’un nouvel atelier de François Bon, un fil d’histoire plus précis s’est ébauché : le départ de Tu et L. vers les îles pour fuir la dictature qui sévit à K. À ce moment-là s’est déclenché un grand désir de narration. Beaucoup de choses se sont précisées au fil de l’écriture, bien des personnages sont apparus… Et régulièrement j’utilise des consignes de l’atelier comme pistes pour développer mon récit.

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