celle qui n’avait jamais vu la mer

celle qui dit non le front buté        celle qui vivait dans l’ombre de la montagne ardéchoise à none l’été à sexte l’hiver        celle qui est restée de l’autre côté des Alpes        celle qui est née en Savoie quand la Savoie appartenait au royaume de Sardaigne        celle institutrice qui se maria en 1912     celle qui mit au monde quatre filles et quatre garçons exactement        celle qui tirait sur les fils de banane en disant ce sont des cheveux de négresse        celle qui avait peur de la mort et qui mettait du souffre dans ses poches et un savon de Marseille au fond de son lit        celle qui ne jetait rien et qui étiquetait les objets brosse à dents sans poils ne pouvant plus servir et les clefs porte de la grande armoire   balancier de l’horloge        celle qui naviguait sur le Rhône à bord d’une péniche et qui passait les écluses        celle qui rinçait le linge au fond de la baignoire dans un baquet sur caillebotis     celle qui étouffait de rire avant la fin de l’histoire        celle qui pouffa comme une collégienne jusqu’à un âge avancé        celle qui buvait du whisky        celle qui portait un soutien-gorge rembourré        celle qui ne riait jamais        celle qui connut sa nuit de noces à 70 ans        celle qui ne sut jamais faire du vélo        celle qui portait fièrement un point bleu sur le front comme certaines femmes d’Afrique du Nord        celle qui perdit l’oreille à l’aube d’une carrière prometteuse de pianiste virtuose        celle qui vécut en Normandie parce qu’il n’y faisait pas trop chaud        celle qui connut la ville bombardée        celle qui n’en revint pas        celle qui mourut avant-guerre d’un cancer du sein     celle qui fut bonne sœur il fallait bien en sacrifier une        celle qui lut Proust dans un pensionnat de religieuses        celle qui n’en fut pas une        celle qui avalait un bocal de cornichons au vinaigre dans sa voiture sur le chemin du retour        celle qui mit au monde un fils dans l’Algérie française et qui n’y resta pas        celle qui ne se réveillera pas        celle qui n’en pouvait mais

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

7 commentaires à propos de “celle qui n’avait jamais vu la mer”

  1. Quelle fin ! J’aime les espaces entre elles, j’aime le rire présent, oh oui, écrire ou faire écrire à propos du rire… Vous avez une bonne idée. Merci pour ces celle qui. Et aussi, laver dans la baignoire, à lire, je se.s encore le souvenir dans le corps, dans le dos… Merci

    • Compromis entre le non retour à la ligne pour des fragments très courts et l’absence de ponctuation. Mais peut-être que les blancs ne s’y prêtent pas.

  2. quelle variété ! j’adore la mangeuse de cornichons et l’étiqueteuse,( les obsessionnelles me ravissent)… les époques et les pays défilent, femmes, femmes, femmes comme chantait l’autre!