Il apparaît debout, jean chaussures marron pull (bleu, marron, mauve ou comme ici rouge), il stationne. Il porte à la main une chemise de laquelle dépassent des liasses de feuilles de papier réunies d’une agrafe, griffée en haut, à gauche, de chacune des liasses (il y en a là une douzaine). Il se peut qu’il attende quelque chose. On ne sait pas bien, d’ailleurs il ne bouge guère, contrairement à tout le reste de la population de l’endroit. Il stationne. Chantonne peut-être. Il marche, deux pas, trois, revient, s’arrête. Il pose sa chemise (elle est rouge en ce moment, un « 2008 » est écrit en noir, des traces de cutter son visible sur son envers, c’est de la récupération) sur le petit meuble de ferraille grise qui abrite un écran – sur l’écran on peut trouver un plan, et s’orienter, ici là ailleurs : cet étage, un autre ou le rez-de-chaussée. Ou ailleurs encore. De temps à autre il s’adresse à un passant – ou une, ou plusieurs s’ils sont plusieurs. On le considère, on l’écoute, on l’entend, on fait oui de la tête avec un sourire, ou non, en expliquant, avec un sourire. Il n’insiste jamais. Chacun est libre d’accepter ou de refuser : de toutes les façons c’est gratuit et inoffensif. Enfin, à ce qu’il semble. On pourrait croire (et c’est ce que disent souvent ceux (plutôt des hommes) de la maison qui l’abordent parfois) on pourrait croire qu’il choisit celles (ce serait plutôt des femmes) qu’il interpelle : pure fantasme. En réalité, si on regardait attentivement, on verrait qu’il n’y a pas de choix mais un pas : j’interroge la troisième personne qui passe devant moi, à un moment donné (je décide du moment, simplement, où je me mets à compter, je décide du pas et je n’en varie pas de la journée). Je porte toujours mon costume brouillé (le même, parfois un peu différent – un ton, un tissu, une épaisseur). Les douze questionnaires réglementaires datés et commencés (numéro d’ordre, type, type de jour, saison, initiales, lieu) je les serre avec le stylo de mon bras (plutôt le gauche) replié sur moi-même. J’attends. Parfois, il me vient une chanson (celle que j’aime sur le moment – « c’est le silence qui se remarque le plus/les volets roulants tous descendus » – ou une autre, à l’avenant). Je m’exhorte parfois : bon allez vas-y mon petit père/gars/coco… Une femme passe, quel âge ? 38, elle est accompagnée d’un enfant, est-ce le sien, ils parlent ensemble, de quoi je ne capte pas vraiment, je ne fais pas très attention à sa robe, sa coiffure, les basketts du môme, un autre avance, non plus – j’ai repéré la prochaine personne (le pas est 3), je m’avance doucement, sans trop m’approcher. Il faut respecter la distance de sécurité, ne pas empiéter sur l’autre territoire qui se déplace avec elle. Il faut cependant qu’elle perçoive une demande, et m’entende. On commence par bonjour, il y a certainement un sourire dans la voix et le ton, mais pas nécessairement trop marqué sur le visage, on enchaîne immédiatement par « je fais un sondage pour la cité, vous voulez y répondre ? » rapidement, nettement, articulant, le regard sans agression mais franchement, tout est normal, il vaut mieux ne pas se reprendre ou se tromper (ce n’est évidemment pas si grave mais il faut enchaîner tranquillement les diverses possibilités) : « j’ai un train à prendre, non, désolé.e » ou autre chose du même tonneau provoque un sourire et un « ce n’est pas grave, bon voyage surtout » l’ironie du surtout pour montrer que la duperie fonctionne, ou qu’elle n’en est pas une, ou qu’on comprend bien. Inoffensif et sûr de soi. Gratuit et anonyme. « Merci » elle est déjà partie. Attendre un peu. Recommencer ou changer de place. Descendre les escalators, se poster en bas, attendre. Dire bonjour au gardien. Sûr de soi et attentif : attendre, regarder ce couple qui s’enlace, cet enfant assis sur les marches, puis ce type, bonjour… « Ce n’est pas trop long ? » Mais non, cinq dix minutes peut-être… « Bon d’accord ». En vrai, quinze – parfois vingt. Mais n’importe, commencer.
Rétroliens : 1264 vendredi 29 novembre
Bonjour. Pourquoi votre 12 sera supprimée le 30 ? J’aurai lu votre « ordinaire » avant, ça m’aurait bien aidé. Il est super. ( petite question, où va l’escalator de votre photo ? Nulle part devant un mur ? c’est peut-être voulu ?)
@Simone Wambeke : un peu comme pour les « mission impossible » la 12 s’auto-détruira pour éliminer les preuves de sa présence – l’escalator va au premier étage (on a l’impression qu’il fonce dans un mur,mais c’est un effet de perspective). Merci du commentaire… (chanson en cadeau)
La 12 mais pas le 27 ^^