#boost #04 | ne pas

tenir tête pour ne pas — elle a cette attitude élevée de danseuse de flamenco un fil tendu depuis le sommet du crâne jusqu’en haut du ciel le menton droit raide carré et puis les mains et les doigts qui tournent devant ses yeux altiers pour arrondir l’air le pétrir l’enrober de son regard brûlant jusqu’à le faire exploser dans un claquement de talons sur l’accord débridé d’une guitare susceptible
tenir tête pour ne pas — il a le visage figé d’un petit garçon en colère les sourcils froncés les plis sur son front comme des vagues lisses la bouche fermée le souffle chaud et bruyant sortant des naseaux comme un taureau furieux et le regard noir et profond et intense qui transperce qui désosse qui découpe comme un rayon laser baignant dans un nuage de fumée je crois même avoir aperçu un éclair qui zébrait le ciel gris
tenir tête pour ne pas — elle est plantée les pieds écartés comme un arbre séculaire prend racine dans la forêt primaire les poings serrés au bout des bras tendus le long de son corps noueux et de sa bouche souffle un ouragan qui emporte tout sur son passage un vent porteur de folie une tempête dévastatrice qui ravage les derniers vestiges d’un amour passé dépassé surpassé trépassé
tenir tête pour ne pas — il a le visage cramoisi de la fureur contenue les veines craquèlent la peau sur ses tempes sous lesquelles on distingue les battements d’un cœur emballé incontrôlable incontrôlé il se mord la lèvre inférieure et une goutte de sang perle à la jonction de sa bouche fermée s’écoule jusqu’à la commissure et le front humide d’avoir trop lutté brille dans l’incendie qui s’empare de son visage et le brûle le consume le détruit

tenir tête aux sans-têtes — aux écervelés aux imbéciles aux mange-mort aux idiots aux décérébrés qui n’ont pas besoin de tête pour ne pas réfléchir — qui n’ont besoin de rien d’autre que leur reflet dans la glace pour se sentir — qui ne croient qu’en eux — qui ne croient plus — qui ne croient en rien en fait — qui ont abandonné — qui ne sont plus — qui ont quitté — qui sont partis — tenir tête pour ne pas 
tenir tête aux portes fermées — la face contre la surface en bois brut sur le seuil de la maison que tu croyais habiter devant l’œilleton qui surveille l’entrée comme un cyclope posé là sur ce visage lisse en chêne qui tient du cercueil vertical — le front posé sur la matière sans vie d’un espoir mort d’épuisement — mort par arrêt du cœur tout simplement — tenir tête pour ne pas
tenir tête à la vie — l’avalanche des états étranges — l’avalanche des nuits sans sommeil des jours sans éveil des sentiments transparents des sensations molles des douleurs chatouilleuses des désirs bruts des odeurs acides des débordements d’indifférence des coulées de lave dans le sang — l’avalanche des avalanches — tenir tête pour ne pas
tenir tête à soi-même — son reflet son image sa photo dans un album de famille — tenir tête à sa tête qui tient tête à sa tête — rose is a rose is a rose souffle Gertrude Stein — la rose est une tête qui tient tête à sa rose — tenir tête à sa rose — tenir rose à sa tête — ou pas — ne pas tenir tête

ne pas et passer son chemin

Photo de Axel Eres sur Unsplash

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

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