La peur vient du ventre. Par où elle passe, personne ne sait. Si elle passe par les nerfs ou les veines, par le derme ou les muscles, ceux qui nous portent, par lesquels on tien debout. Par lesquels on tient. Je sais parce que je la sens là, au centre, qui tord les organes, qui flotte omniprésente à l’intérieur. La peur de l’abandon. La peur ultime qu’on nomme angoisse. Tu sais, cette agonie, l’étymologie ne trompe pas la nature profonde de la douleur. La peur du sevrage. La peur du manque. La peur d’être seul, absolument. Cette peur-là se fraie un chemin dans le cerveau. Elle diffuse son venin, jusqu’au cœur. C’est la peur de l’incertain, du flou, du fluctuant. La peur de sentir qu’on me laisse, qu’on m’estompe et que je disparaisse. La peur qui amenuise jusqu’à l’espoir. La peur d’être vidée de ma substance. La peur de ne plus savoir résister à cette trouée dans l’estomac. La peur que plus rien jamais ne pourra combler cet espace-là. La peur à faire vomir, la peur qui creuse encore la béance, qui retourne les tripes, entrailles à l’air. La peur d’une totale nudité. La peur d’exposer les failles. La peur que ces fragilités soient jouées à pile ou face. La peur de l’autre alors agrandie. La peur des mots de trop ou des non-dits. La peur que l’autre nous blesse. La peur d’être quittée, tu sais, quand ça nous prend. La peur irraisonnée qui nous rend irascibles. La peur tenace, ineffaçable. Elle vit en moi cette peur, depuis l’enfance. La peur ancestrale, tellement humaine, tellement animale, de ne trouver son équilibre. La peur de la perte et celle de la mort, qui marchent main dans la main. Le déni de l’une ou l’autre n’aide en rien. Ni acheter son silence. La peur trop bavarde qui nous chuchote tout le temps. La peur pire que l’absence. Et la peur de la peur. Je regarde ma peur bien en face, frontalement. La peur d’abandonner vient prendre la place de celle d’être abandonnée, et je ne sais comment aménager les recoins dans ma tête pour cacher cette peur-là.