Elle me dit : Dans le fond, je pense que je regrette d’avoir eu des enfants.
Ai-je bien entendu ? M’a-t-elle véritablement parlé ?
Frappent les murs, creusent des trous, disparaissent dans l’obscurité, les mots dits, giclée de nom, verbe, c.o.d, sur mon corps ratatiné, écrasé, sous le poids de la voix, éclat, geste, violence, claque.
Je la regarde qui ne dit plus rien comme quelque chose qui n’aurait pas été dit.
Non, je n’ai pas dit, je n’ai rien dit, elle n’a rien dit, bouche muette, refermée, taire, l’impardonnable, oups échappée légère sans réflexion ou pointe lacérée maturée et visée, elle ne dit rien, regarde au loin, les mots ont-ils existés, inscrits à la craie sur le tableau noir et aussitôt effacées, gommés, éponge salie
Aurai-je rêvé ?
Regret, regret, regretter, n’aurait pas dû, aurait pu, n’a pas, a fait mais, cacher, secret, bêtise, où ma vie, c’est ainsi, non, je ne veux pas, pas, pas moi, tard, ma vie, perdue, erreur, vous êtes une erreur, erreur, je suis une erreur, regretter d’avoir été fabriquée, fabriquée, mais qui êtes-vous ?
Même la colère n’ose entrer dans mon cœur tant les mots sont fous. Dans ma tête, un silence. Déglutition lente et glacée vers mon cerveau, le long de mes os. Qui ? Qui est-elle ? Cette femme, face à moi. Je reconnais ses yeux, son visage, son corps, sa voix, je la reconnais. Mais est-ce que je la connais ?
Avoir eu des enfants, avoir eu, voilà les mots, la phrase, j’ai eu des enfants, j’ai eu.
Mais que penses-tu avoir eu quand tu dis ceci ?
Je ne la regarde plus, je ne peux répondre,
Ma langue sèche,
Je lisse la nappe du plat de la main.
