#LVME #09 | A blancs

La clé du local du rez-de-chaussée, au tableau dans la loge, celle avec l’étiquette aux doubles voyelles blanches; il croyait se souvenir qu’elles étaient noires, il n’a pas oublié son étonnement quand il avait lu le poème; il lisait tout ce qui tombait sous ses yeux.
Deux fois par semaine, il passe et il aère; en temps normal c’est tous les jours, à l’aube ou le soir avant son tour . La serpillère attendra : par arrêté préfectoral les réunions sont proscrites; tout rassemblement est proscrit.
Les chaises pliantes en cercle, restées de la dernière séance, il y a toujours au moins une chaise qui sort du cercle, comme quelqu’un qui ne veut pas vraiment entrer, c’est difficile d’être là – on commence souvent par rester sur le seuil, parfois on ne revient pas ; le tableau effaçable sur trépied dans le coin droit du côté de la fenêtre qu’il est venu ouvrir ; les barreaux aux couleurs acidulées dégradées pour donner une impression d’ouverture qui ne trompe personne ; la table, une simple planche sur tréteaux avec la machine à café et la bouilloire, quelques biscuits dans un bocal, un autre avec le sucre : Prenez avait dit une des responsables, qui sait quand nous reviendrons.
Il pense aux ombres des mardis et des jeudis soir, à celles du samedi après-midi, les mêmes pas les mêmes ; anonymes, de longs ou courts séjours.
Il y en a quelques uns dans l’immeuble pour dire ouvertement que cette association draine le pire, qu’il faudrait fermer le local du moins à certaines activités, – vous imaginez il y a même des mères parmi eux – ; il y a aussi une garderie et du soutien scolaire le mercredi – une honte d’imposer à des enfants de partager le même air – ; un atelier d’écriture le lundi et une chorale deux soirs par semaine.
La propriétaire du troisième a écrit lettres sur lettres au syndic, elle est même remontée jusqu’à la mairie pour dénoncer le danger de ces regroupements, elle se plaint aussi des nuisances sonores de la chorale – le gardien qui vient d’Algérie elle a fini par le tolérer parce qu’il est très propre et serviable.
Aux réunions de copropriété l’association a plus d’une fois sauvé sa peau de justesse : N’oubliez pas que l’immeuble a une vocation sociale, avait fait remarquer le couple du quatrième.
Il referme la fenêtre; au tableau effaçable les mots : TEMPS-NUIT-AUJOURD’HUI. Souvent il emprunte un livre, deux placards font bibliothèque : les livres de l’atelier d’écriture tournent.
Il pose un torchon blanc sur les tasses. Il pense aux ombres, il les imagine dans le noir, il imagine leur solitude ; il a connu quelqu’un qu’il n’a pas pu sauver, c’était il y a longtemps, bien avant d’arriver ici . Un jour il a failli en parler à une intervenante , seulement le silence a été le plus fort. Il faut parler vous savez avait-il entendu à propos d’autre chose; de la guerre croit il se souvenir . C’est ce que font les ombres; elles viennent et elles se parlent .
Il pose la clé au tableau. Il attend pour refermer la porte de sa loge ; la nuit est claire, Rachid Benba se penche en arrière, il regarde la nuit .

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

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