LVME #09 | Médecin de ville

L’interphone est à gauche de la porte vitrée. Le sésame n’est pas nécessaire. Il suffit d’appuyer sur le bouton en regard de « Cabinet Médical ». Personne ne vous répondra, donc nul besoin de se racler la gorge : on n’aura rien à dire. Mais il est nécessaire d’être attentif : le déclic indiquant l’accès autorisé est discret. Le hall est vaste, presque lumineux, des boîtes aux lettres en métal sur la droite, un sol dallé de couleur marronnasse. Trois marches, et l’on accède à l’entresol. Le cabinet est sur la droite. « Sonnez et entrez. » C’est une lourde porte, mais elle pivote sans difficulté. Une entrée, changement de revêtement de sol, pas tout à fait du linoléum, et, au bout d’un court couloir, le comptoir, la secrétaire médicale, interchangeable, entre quarante et cinquante ans, souvent avec un chignon.

— Bonjour ? Vous aviez pris rendez-vous ?
Il faut décliner son nom. Elle le vérifiera sur l’écran de son ordinateur. À partir de là, on aura droit à un sourire ou pas. On sait déjà où se trouve la salle d’attente : on est déjà venu, vous savez, depuis le temps, et aussi à l’ancienne adresse. Là-bas, il y avait deux étages à monter, sans ascenseur. Mais c’était aussi difficile pour se garer. On se rend compte, un peu penaud, qu’on parle seul, et on s’engouffre dans la salle d’attente.

Il vaut mieux dire bonjour, en général, rien que pour observer la façon dont chacun répond à un bonjour. Il faut bien s’occuper. Certains répondent avec un bonjour minuscule, qui a tellement de mal à franchir la barrière des lèvres. D’autres ne répliquent même pas. La plupart des gens, assis en rang d’oignons, ont une mine de personnes très affairées : sourcils froncés, jambes qui se croisent, se décroisent, se recroisent, petite toux intempestive qu’on aurait bien aimé contrôler, ou alors éternuement sonore avec séquelles humides, dont il faudra prendre garde pour ne pas empirer les choses. Le bruit des feuilles en papier glacé d’un magazine feuilleté prend ici une dimension impudique. On fait plus attention en tournant la page la fois d’après. Les murs sont d’un vert anglais peu ragoûtant. C’est étonnant qu’ils n’aient pas mis une photographie de New York ou encore une reproduction de Van Gogh. Il y a juste le règlement affiché près de la porte, les tarifs. Quand on entre dans la salle d’attente, on cherche un siège isolé. On ne voudrait pas se retrouver coincé entre deux patient(e)s. La bulle dont on s’entoure généralement se rétrécit grandement : elle devient d’une fragilité de cristal, agaçante.

Il faut, en tout cas, faire rapidement un choix entre une chaise simple en plastique extrudé ou un fauteuil crapaud, dont on se demande déjà si on pourra se relever sans perdre sa dignité. Le temps passe bizarrement. C’est toujours trop long, comme à l’école. De temps à autre, on entend une porte qui s’ouvre, des voix, des pas qui se rapprochent, la porte d’entrée qui s’ouvre et se referme. Puis le médecin apparaît dans l’encadrement de la porte. Il connaît le nom, il le dit sans hésitation. Le patient se lève et se dirige vers le couloir, comme on doit s’amener vers Saint-Pierre, avec ce petit air mi-figue mi-raisin. Est-ce qu’on doit tendre la main à un médecin ou pas ? Lui dire bonjour docteur, bonjour monsieur ? On n’est pas à l’aise. Pour un peu, on serait malade.

Le bureau dans lequel on est reçu est lumineux. Par la fenêtre, on aperçoit le fleuve et, au-delà, les immeubles aux couleurs ocre et terre de Sienne. Encore au-delà, une colline avec une petite tour Eiffel, parce que Lyon voudrait être Paris. On raconte ses petits soucis. Peut-être pas trop en détail non plus. On paie pour une certaine idée que l’on se fait de l’expertise. Ils sont nouveaux, ces tableaux. Du coup, voilà que ça vous échappe.

— Ah bon, et vous les trouvez comment ?

Enchaîne aussitôt le toubib, en rejetant lentement le corps en arrière sur son fauteuil de gamer. Zut de zut, on va parler encore peinture. Chaque fois, on se fait avoir, c’est plus fort que soi. Et à la fin, il prendra juste la tension, imprimera l’ordonnance, ajoutera que pour le toucher rectal, on peut attendre les résultats du bilan sanguin, ce qui soulage énormément sur le coup. Puis on y repense en sortant sur le palier. Ce n’est pas qu’on est soulagé tant que ça. On regarde sa montre : tout l’après-midi y est passé.

Illustration : Vladimir Yegorovich Makovsky, 1900

A propos de Patrick B.

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