Longtemps on n’a pu circuler sur la place qu’en empruntant les planches au dessus de la terre et du sable donnant aux traversées un petit air de place saint Marc les jours d’inondation. Des travaux de pharaon avaient été annoncés par des signes cabalistiques de couleur fluo, jaune ou orange, suivis des tranchées pour la reprise des canalisations, de gaz, d’électricité, des eaux usées, du téléphone; tous ces tuyaux à découvert ; les racines de la ville à nu. Mettre aux normes, chasse au plomb, matières interdites, la vétusté, insalubre. On marchait sur un grand corps volcanique. Pendant plus d’une année le chantier s’est déployé, chaque jour, une rangée d’écaille, ouvrage complexe qui devait prendre en considération la pente, l’étoilement des rues, la place qui n’était ni ronde, ni carrée, parfois cela partait dans des horizontales, parfois dans des verticales, comme les rayures d’un zèbre ou d’un chat. Les pavés apparaissaient tous différents, variant du gris au noir, avec des zébrure de météorite, au jaune, orangé, chaque fois différents et pourtant même, avec une rigole au milieu pour laisser l’écoulement des eaux et les bouches des canalisations, chacune au quadrillage différent selon le contenant. Dès que le chantier s’est retiré, on a tout oublié, tout ce qu’il avait fallu de métiers pour fouler le pavé. C’est peut être les jours de pluie quand l’eau fait briller toutes ses facettes, que la place ressemble à une queue de sirène avec un rayon de lumière qui vient se miroiter sur sa peau de pierre qu’on est de nouveau étonné. Les autres jours, quand on remonte la rue, avec toutes les choses à faire, on voit sans penser, le chevauchement des pierres, avec des feuilles mortes qui viennent s’amasser dans les rigoles, des vieux mouchoirs échoués, des mégots dans les joints à proximité des bars, et des confettis, vestige du carnaval. On se rappelle l’inégalité du sol quand le vélo dodeline en faisant caracoler la chaîne, annonçant sa présence, comme la cloche la vache.
On en oublie de se redresser devant les façades à meneaux souvent, rouge, rosée, ocre, perle, terre de sienne avec des coulées de noirceur sous les linteaux, murs qui se desquament comme des platanes. On en oublie le mur du soleil, encadré par Pierre et Marie, au dessus des Punch et Judy et la vitrine du cabaret aux affiches criardes et aux titres des spectacles cousues de jeux de mot, on en oublie l’immeuble en tranche de gâteau, et ses façades qui épousent la perspective de la montée, la carotte du tabac, l’enseigne de la pizzeria, le restaurant hongrois qui maintenant est coréen.
Poussé la lourde porte rouge sang de bœuf dont le bas a été écaillé par le passage des vélos et de tous les travaux, on est avalé par l’obscurité ; le pied averti s’y retrouve dans les dalles irrégulières étoilées, usées.En tâtonnant le mur, l’interrupteur et une allée où s’aligne un mur de boites aux lettres ; certaines explosent sous les journaux gratuits, d’autres ont les portes qui pendouillent, des noms écrit à la main sur des étiquettes d’écolier ou des plaques dorées. La boite de sécurité incendie a été forcé. Dans le prolongement, les équevilles, poubelles vertes ou jaunes, vomissantes de cartons à pizza, des cartons de déménagement, des sacs en plastique remplis de bouteilles en verre. Plaqué contre le mur, une pancarte manuscrite rappelant sur un ton tendu les principes du tri. En arrivant dans la petite courette plutôt maussade, on pourrait passer à côté, les yeux perdus dans les dalles fendus et rapiecés et ne pas lever lever le nez pour découvrir les coursives à l’italienne, l’escalier hélicoïdal qui dessert les étages, les plantes qui cherchent la lumière et dégringolent des balustrades, les murs chaulés rosés, les petites sculptures entourant les fenêtres. En montant les marches de calcaire incrusté de fossiles, pierre que l’on retrouve dans tous les escaliers de la ville, une trace persistante, comme l’écoulement d’un liquide gras qui se serait répandu sur les marches, une bouteille de vin, d’huile cassé, un sac percé. Les murs sont du même ocre que la cour avec des becs de gaz portant l’inscription gaz à tous les étages, et des renfoncements parfois dans le mur, portes murées, emplacement de statues disparues, au dernier étage, les marches sont en bois.
Panorama non exhaustif de certains étages.
Rdc le cabaret. Plancher de bois sombre avec trappe. Murs couvert de vieilles affiches. Poursuites lumineuse.
1 mur blanc carrelage blanc, on vient de passer la serpillière. Ça brille, nudité des murs.
2 mur blanc, une estampe au mur, à côté de la bibliothèque, le piano droit noir, le sol est en parquet de chêne.
3 : un cabinet de curiosités. L’atelier pourrait figurer dans le catalogue des objets introuvables. Un établi hérissé de serres joints qui se découpent sur une fenêtre intérieur, comme une cote déchiquetée par les vents, une bibliothèque montant jusqu’au plafond, les ombres d’oiseaux, des masses en circulation au plafond, espace saturé, au dessus d’un sol en carrelage marron, dont le pavage fait penser à des huit sur un réveil électronique seiko à quartz. Un autre mur occupé par un placard géant coulissant composé de grandes vieilles portes peintes en jaunes, ce qui reste de mur est vert verveine. Une lumière s’allume dehors quand on va aux toilettes, c’est un phare de 404.
4 : mur blanc un peu jauni ou peut être est-ce l’éclairage quand on pousse l’interrupteur qui allume le néon au dessus de l’évier de la cuisine. Sobre, juste un grand poster en format paysage où l’on voit comme une odalisque en maillot avec une chevelure fontaine. Un peu plus loin des coupures de presse annonçant des concerts de bossa. Le sol est en lino blanc. L’autre pièce le sol se répète, aux murs des pochettes de disque, musique afro cubaine et une grande carte de tarot.
5 location courte durée